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à reconnaître qu’elles sont grandes et tout à l’avantage de Pindare. Il doit d’abord sa supériorité à la langue de son pays et de son temps, qui, malgré plusieurs siècles de brillante existence, n’est pas immobilisée dans des formes fixes, mais, pleine de sève et toujours prête à s’accroître, se plie aux transformations avec la souplesse d’un corps d’adolescent. Il en résulte que les hardiesses y sont naturelles, qu’elles s’y multiplient impunément et que le goût apporte moins d’entraves à un poète qui d’ailleurs ne connaît guère ni les impropriétés ni les incertitudes, mais porte dans son œuvre cette sûreté de main particulière à l’art antique.

Il y a de plus dans ce style si facilement riche une rapidité et une variété qui n’admettent ni l’amplification ni des procédés de développement commodes comme l’énumération. L’amplification, legs impérissable de la rhétorique latine, notre éducatrice, est contraire au lyrisme grec. Ces répétitions de formules, qui, dans une énumération, offrent au mouvement poétique comme des points d’appui où il peut se reprendre, auraient paru aux Grecs d’une intolérable monotonie. Pindare possède une trop grande richesse de tours, son allure est trop forte et trop souple pour qu’il en ait besoin. Dans le même ordre d’idées, ce qui n’est pas le moins frappant, c’est que l’antithèse lui est inconnue. Quel vide chez Victor Hugo, si l’on supprimait les antithèses ! Quelle gêne pour sa pensée comme pour son style, si on lui interdisait l’usage de cette forme qui est devenue comme le moule fatal de tout ce qu’il conçoit et de tout ce qu’il dit ! Pindare se passe de ce genre de ressources ; chez lui les idées et les expressions se suffisent à elles-mêmes ; chacune vaut par sa force propre, et la strophe se soutient par son élan naturel, sans le secours de ces artifices extérieurs. Sa poésie est vierge de toute atteinte de la rhétorique.

On remarque aussi chez Pindare un caractère plus plastique, tandis que la couleur domine chez Victor Hugo. C’est ici que paraît surtout la différence de l’art grec et de cet art si moderne. Le poète ancien, étranger à toute affectation, ignore ce que c’est qu’une attitude ; mais directement, dans la nature, il saisit nettement les formes de la vie, et son imagination en reproduit les contours précis et purs. Le poète moderne, qui préfère l’effet à la vérité et le décor au paysage naturel, évoque des visions. Le merveilleux du premier emprunte ses élémens à la réalité, celui du second est fantastique. Chez celui-ci, les sensations ont souvent quelque chose de trouble ou de vague comme celles du rêve ; souvent elles naissent d’une imagination échauffée sous le souffle de la poésie du Nord, qui se complaît dans sa propre ivresse et aime à créer dans le vide. Cette sorte de fièvre est étrangère à l’art grec, dont, en général, les belles œuvres, filles saines et vigoureuses d’un pays