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PINDARE.

de lumière et de vérité, supportent et demandent, pour être bien vues, le plein jour où elles sont nées.

Ces idées ne sont pas particulières à notre sujet. Elles s’imposent chaque fois que des ouvrages, fortement marqués du caractère moderne, méritent d’être comparés aux ouvrages antiques et nous sollicitent à nous élever jusqu’aux principes supérieurs de l’art. Indiquons un dernier trait, qui paraîtra peut-être plus précis. Nous reconnaissions en commençant que Pindare manque de tendresse et n’est pas dramatique. Du moins son fier génie est-il pénétré par un sentiment profond des secrètes tristesses de l’âme humaine. C’est pour cela que ses odes, magnifiques au début, remplies d’images éclatantes et de mouvemens superbes, semblent souvent s’adoucir et se calmer en finissant, pareilles à une harmonie qui s’éteint : souvent les dernières paroles, au moment où meurent les derniers sons de la lyre, laissent, après la glorification des victoires ou des destinées célèbres, une impression plus grave et plus recueillie. Telle est ici encore la tendance générale de l’art grec : il cherche la sérénité. L’art moderne, au contraire, surtout chez le représentant illustre qui nous a paru rappeler quelques côtés de Pindare, a souvent pour but dernier l’étonnement, l’effet, et réserve pour la fin son principal effort.

Faut-il se borner à constater ces différences, ou bien peut-il naître de là quelques réflexions qui intéressent l’avenir de notre poésie lyrique ? Doit-on s’en tenir à ces formes créées ou renouvelées par les maîtres contemporains, ou bien serait-il possible, dans le champ infini de l’art, d’innover encore ? Serait-il défendu à un génie puissant de briser les moules adoptés et de secouer le joug monotone des procédés, soit pour donner au vers libre, dans l’expression des idées élevées et de la passion, la valeur qu’il a su prendre dans la poésie familière de La Fontaine, soit même pour inventer des dessins de strophe plus amples et plus souples ? Est-ce un simple rêve, auquel se refusent les lois qui déterminent la constitution musicale de notre poésie, et doit-on se contenter de souhaiter la venue d’un poète qui sache faire du nouveau avec les formes existantes ? Nous soumettons ces questions aux habiles ouvriers qui ne cessent de travailler chez nous le rythme et tout le matériel de la science poétique. Quant à nous, qui ne prétendons rien décider, nous affirmerons seulement, pour conclure, que, le jour où l’on verrait paraître en France une poésie lyrique à la fois ample et précise, éclatante et variée, concentrée et vivante, non-seulement par le détail, mais par la continuité du souffle qui l’animerait, on y serait plus près de Pindare et on le comprendrait mieux.


Jules Girard.