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la poésie des aventures et des révolutions. Que cette république renaissant ainsi, avec du temps, si elle en avait, et beaucoup de sagesse, avec le concours des anciens républicains éclairés par l’expérience et des républicains nouveaux ralliés à la nécessité, pût devenir un régime régulier, ce n’était point impossible sans doute. Le danger malheureusement plus vraisemblable pour elle était de ne pouvoir se fixer, d’échapper à toute direction modératrice, de déchaîner les passions anarchiques, les utopies, la guerre civile, de susciter à courte échéance la réaction des instincts conservateurs effrayés, des intérêts menacés, — et par cet irrésistible courant de réaction, de remonter bien au-delà du point de départ du 24 février, jusqu’aux dictatures de la force. C’était là justement le nœud du nouveau drame qui s’engageait dès la première heure sur les barricades de février pour ne plus s’interrompre jusqu’au fatal dénoûment préparé par la complicité volontaire ou involontaire de tous les partis, des vaincus de la veille et des vainqueurs eux-mêmes. Lord Palmerston, dans son langage imagé, ne se trompait que sur un point : le drame au lieu d’être fini ne faisait que commencer ou recommencer.

La république de 1848, par le fait, a vécu un peu moins de quatre ans, et dans cet espace de moins de quatre années elle n’a été qu’une longue crise qui a ses phases successives de violences et de trêves. Au début, sous le gouvernement provisoire du 24 février jusqu’à la réunion de l’assemblée constituante, au 4 mai, l’anarchie se déchaîne au sein de cette société française, la veille encore paisible, maintenant menacée dans sa sécurité comme dans sa fortune. Tout est remis en doute; tout est livré aux hasards, aux manifestations de la rue, aux excitations des clubs, aux suggestions de la misère envenimée et des passions, aux conspirateurs et aux sectaires, à peine contenus par une dictature divisée elle-même, complice ou impuissante. C’est la première phase qui, à travers les « journées » du 17 mars, du 16 avril, du 15 mai, va se résoudre dans cette formidable explosion de juin, où tous les élémens anarchiques se concentrent pour une lutte désespérée, où la France et la république naissante ont besoin, pour se sauver, selon le mot de M. Thiers, « de verser plus de sang qu’il n’en a coulé dans toutes les journées de la révolution et dans les plus difficiles journées de la monarchie. » Le tragique conflit de cinq jours marque le point d’arrêt. La seconde phase, au lendemain de la victoire de juin, c’est une autre dictature, la dictature de l’ordre, le règne du général Cavaignac, l’honnête et ferme soldat, de l’assemblée constituante dégagée de tout péril immédiat d’insurrection, des républicains relativement modérés maîtres du pouvoir. Les uns et les autres auraient pu utiliser cette paix reconquise, ce répit qui dure cinq