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départemens comme à Paris; elles avaient commencé au mois de mars 1850, elles se complétaient au mois d’avril au milieu des plus vives excitations, et parmi les élus de Paris, l’un, ancien officier de marine, homme à l’intelligence distinguée et troublée, M. de Flotte, était un condamné de juin amnistié, l’autre, M. Eugène Sue, n’avait d’autre titre que de s’être fait le romancier de la démagogie. Le socialisme qu’on croyait avoir vaincu, qu’on s’efforçait de supprimer ou de contenir, faisait une trouée victorieuse par ce scrutin dont triomphaient les républicains extrêmes.

Rien de plus étrangement dramatique, quand on revient vers ces années déjà lointaines, que l’émotion suscitée par un vote qui pour le moment ne changeait pas la majorité dans l’assemblée, mais qui laissait entrevoir la possibilité d’un avènement légal du socialisme aux élections futures de 1852. En peu de jours, les fonds publics avaient baissé de près de 10 francs; une sorte d’effroi avait envahi le monde des affaires, paralysant brusquement l’industrie et le commerce. Aussitôt entre le gouvernement et les chefs de la majorité parlementaire se formait un concert pour chercher dans une révision de la loi électorale un moyen d’opposer une digue au torrent révolutionnaire. Comment trouver ce moyen en restant autant que possible dans la correction constitutionnelle? On ne pouvait ni rétablir un cens, ni essayer de tempérer les emportemens du suffrage universel par le vote à deux degrés, ni modifier les conditions d’âge pour l’électorat, sans toucher à la constitution, qui était précise, et sur le « suffrage direct » et sur l’âge de vingt et un ans; mais la constitution se taisait, elle avait laissé à la loi électorale le soin de statuer sur les conditions de domicile ou de capacité, et ce qu’une simple loi avait fait, une loi nouvelle pouvait le modifier. C’est par là qu’on croyait atteindre le but, en étendant de six mois à trois ans la durée du domicile pour l’électorat, en faisant constater le domicile par l’inscription au rôle de la contribution personnelle et en multipliant les cas d’incapacité ou d’indignité. C’était toute la loi du 31 mai, — « pas audacieux dans la voie de la réaction, » attentat contre le suffrage universel, s’écriait-on au camp des socialistes et même au camp des républicains modérés, — acte de préservation nécessaire, disait-on au camp des conservateurs! M. Thiers était de ceux qui avaient ressenti les élections de Paris comme une injure, comme une menace, et après avoir été un des plus ardens inspirateurs de la loi nouvelle, il en restait un des plus puissans défenseurs.

A vrai dire, M. Thiers avait peu de respect pour le suffrage universel; il le mettait, ainsi qu’il le disait, au nombre de toutes les choses auxquelles il avait dû se résigner depuis quelque temps « sans être converti à aucune. » Il se soumettait à une puissance