eux-mêmes ou par d’autres, — monseigneur, pas de malentendu entre nous, vous êtes ici malgré moi. Et montrant l’assemblée, j’ajoutai : Ces hommes imprudens qui vous ont rappelé ne savent ce qu’ils font; vous serez leur maître, mais vous ne serez jamais le mien!.. » La vérité est qu’au premier moment M. Thiers s’était montré peu favorable à ce retour de fortune napoléonienne. Il aimait mieux l’empire dans l’histoire, dans ce passé dont il racontait les grandeurs, que dans la réalité contemporaine. Ce n’est que par degré, presque à la dernière heure, en présence d’un mouvement croissant d’opinion, que M. Thiers, ayant à choisir un candidat à la présidence, avait fini par se rallier au prince qui portait à la cause de l’ordre la popularité d’un nom prestigieux et parlait un langage d’une habile modération. « ... M. Louis Bonaparte, écrivait-il, aura au moins l’avantage de nous affranchir du joug d’une coterie incapable, désorganisatrice, antipathique à la France... Je le crois, comme individu, égal au moins au général Cavaignac... M. Molé juge M. Louis Bonaparte comme je le juge moi-même... Maintenant tout ce que je puis vous dire, c’est que, sans affirmer que cette nomination soit le bien, elle nous paraît à tous, hommes modérés, un moindre mal... » M. Thiers suivait l’irrésistible courant sans illusion, sans trop d’humeur, acceptant ce qu’il n’avait pas pu empêcher et se flattant de contenir au besoin par la puissance parlementaire les prétentions qui pourraient devenir dangereuses.
Une nécessité de situation, l’intérêt commun rapprochait pour le moment les chefs des partis conservateurs et le prince qui arrivait au gouvernement avec l’orgueil d’une acclamation populaire, mais qui, exilé jusque-là, étranger aux affaires, presque dépaysé en France, sentait bien qu’il ne pouvait se passer du concours d’hommes éprouvés, connus du pays. M. Thiers entrait vivement dans ces rapports. Ministre, il ne pouvait pas l’être lui-même, et il était le premier à conseiller à l’élu du 10 décembre de former son ministère avec des hommes moins compromis ou moins engagés par leur passé. Il était le négociateur le plus actif de cette première réorganisation d’un gouvernement conservateur avec M. Odilon Barrot, M. de Falloux, M. Drouyn de Lhuys, M. Léon Faucher comme ministres, avec le maréchal Bugeaud comme commandant de l’armée des Alpes et le général Changarnier comme commandant de l’armée de Paris. Sans entrer au pouvoir, il promettait à ceux qu’il pressait d’y entrer de servir sous leurs ordres ou auprès d’eux dans le parlement, d’être toujours prêt «sur un geste » à monter à la tribune, à s’associer à tous les actes du gouvernement, à partager toutes les responsabilités. En réalité, sous ce nouveau consulat de la seconde république, M. Thiers n’a jamais sérieusement