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du grand homme qui la connaissait et savait la soumettre; qui a ensuite applaudi à sa chute et qui, en 1815, a mis une corde à sa statue pour la faire tomber dans la boue... Ce n’est pas le peuple, le vrai peuple que nous voulons exclure, c’est cette multitude qu’on ne peut saisir nulle part, qui n’a ni domicile ni famille...


Il parlait ainsi, opposant à l’emportement des passions une raison souvent passionnée elle-même, mettant une certaine tactique dans sa véhémence comme il l’a avoué depuis ; il ne ménageait rien, et à ceux qui lui répétaient sans cesse qu’il n’était qu’un royaliste conspirant la ruine de la république, il répondait que lui et ses amis plaçaient l’intérêt du pays et de la société au-dessus de la forme de gouvernement, que la république, plus encore que la monarchie, avait besoin d’ordre, qu’en défendant la cause de l’ordre, ils servaient mieux la république que les aveugles qui, en croyant la servir, la perdaient par leurs violences. A ceux qui l’accusaient de procéder par l’astuce, de ne s’être arrêté devant la constitution que parce qu’il n’avait pas osé aller jusqu’à un coup d’état, il répliquait vivement : « Vous dites que nous n’avons pas osé. Essayez de violer les lois, et vous verriez si nous n’oserions pas !... » Il montrait le bout de l’épée du général Changarnier, qui commandait encore alors l’armée de Paris et qui se faisait fort de contenir toutes les agitations. Par exemple, il eût été peut-être un peu embarrassé d’expliquer ce qu’il aurait pu oser.

Cette guerre incessante, multiple, qu’on croyait dirigée contre la république, qui ne l’était que contre les excès révolutionnaires, M. Thiers l’avait commencée sous le général Cavaignac, il la continuait sous la présidence de Louis-Napoléon, il la poursuivait dans une situation à vrai dire singulièrement compliquée par cette apparition d’un pouvoir d’acclamation populaire, qui était sans doute une force, une ressource pour les conservateurs, mais qui était aussi un grave danger.


III.

Ce pouvoir nouveau, comment M. Thiers l’avait-il vu à sa naissance? Quels rapports avait-il avec le prince dont le vote du 10 décembre 1848 avait fait un président? M. Thiers a raconté bien plus tard, en 1871, qu’un jour de 1848, au moment où l’assemblée constituante s’avouait vaincue par les élections déjà nombreuses de Louis-Napoléon, il s’était trouvé auprès du prince, qu’il lui avait été présenté par un homme d’esprit, M. Vieillard. — « Et voici, ajoutait-il, la réponse que j’eus l’occasion de faire à une de ses questions ; Monseigneur, — car j’ai toujours eu l’habitude de donner le nom qu’exige le respect à ceux qui ont régné ou par