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socialistes, dont ils semblaient faire une sorte de Monk en expectative. Ils ne s’apercevaient pas qu’en donnant des armes au président par toutes leurs lois, par leur politique, ils lui donnaient aussi des griefs par leurs manifestations, surtout par le rôle qu’ils créaient au général Changarnier.

Placé entre tous les partis, Louis-Napoléon se servait ou se jouait des uns et des autres avec un mélange de ruse et de ténacité calme, sachant profiter des occasions qu’on lui offrait, des fautes et des faiblesses de ses adversaires ou de ses alliés, des ressources et de la force de sa situation. Contre les républicains il avait les défiances qu’ils inspiraient, les instincts conservateurs qu’ils avaient réveillés, la lassitude du pays, le déclin de la république déjà visible dans l’opinion. Contre la majorité royaliste de l’assemblée, il avait le souvenir à peine effacé des défaites de toutes les monarchies, les rivalités dynastiques, l’impossibilité d’une restauration de royauté. Contre tous il avait l’occupation du pouvoir, le droit de disposer de toutes les forces de l’administration et de l’armée, le prestige de l’autorité légale doublé par l’éclat du nom, la supériorité d’une ambition fixe, d’une volonté unique, habile à se démasquer ou à se dérober tour à tour. Il ne se hâtait pas : dès qu’il rencontrait un obstacle ou une difficulté, il s’arrêtait ; au besoin, il se laissait imposer ce qu’on voulait ou il se laissait désavouer par ses ministres, sans se détourner néanmoins de son but. Tantôt il semblait s’étudier à désarmer les soupçons et les hostilités par quelque discours comme celui de Ham ou par un message respirant la conciliation et la légalité ; tantôt il parcourait les provinces, la Bourgogne, l’Alsace, la Normandie avec un appareil princier, demandant directement au pays le pouvoir et les moyens de faire le bien qu’on attendait du gouvernement, disant à Cherbourg : « Pourquoi l’empereur, malgré ses guerres, a-t-il couvert la France de ces travaux impérissables qu’on retrouve à chaque pas et nulle part plus remarquables qu’ici? C’est qu’indépendamment de son génie, il vint à une époque où la nation fatiguée de révolutions lui donna le pouvoir nécessaire pour abattre l’anarchie, réprimer les factions et faire triompher, à l’extérieur par la gloire, à l’intérieur par une impulsion vigoureuse, les intérêts généraux du pays... » L’appel ne pouvait être plus direct. — Ou bien le président saisissait habilement l’occasion des pèlerinages légitimistes et orléanistes à Wiesbaden et à Claremont pour passer, de son côté, autour de Paris des revues militaires où les acclamations impérialistes provoquées dans l’armée éclataient comme un défi aux parlementaires.

Ce travail d’ambition, Louis-Napoléon le poursuivait à travers tout, usant les partis les uns par les autres, tenant les républicains