par les conservateurs, les conservateurs par leurs passions comme par leurs divisions, avançant pas à pas jusqu’au jour où un dernier défi soulevant l’assemblée obligeait la majorité elle-même à une résistance décidée, mais déjà tardive. C’était à l’occasion de la destitution du général Changarnier, qui avait refusé de couvrir de son approbation ou même de son silence les manifestations impérialistes des revues de Satory et qui, par ce seul fait, s’avouait le général du parlement. Le conflit avait cela de grave que, pour la première fois, le président se trouvait directement en présence, non plus de la minorité républicaine, mais de la majorité conservatrice qui jusque-là lui avait prêté son appui. Entre les deux pouvoirs la guerre était décisive. Pour le président, il s’agissait non-seulement de se délivrer d’un général ennemi placé à ses côtés, mais de conquérir le droit d’avoir sous la main, à Paris même, des chefs militaires choisis par lui, dévoués à sa fortune. Pour l’assemblée, si elle se soumettait, elle perdait l’épée sur laquelle elle comptait pour sa sûreté, elle restait désarmée contre toutes les entreprises.
Au dernier moment, comme s’il eût senti le danger, Louis-Napoléon avait réuni les principaux chefs conservateurs pour tâcher de leur faire accepter sa résolution. Il n’avait réussi qu’à rendre le conflit plus aigu, et M. Thiers lui avait dit : « Le commandement du général Changarnier a été alternativement un gage de sécurité pour la cité contre la démagogie et pour le parlement contre les tentatives assez mal déguisées de certains hommes. Tous les partis ont leurs exagérés; le vôtre, monsieur le président, comme les autres. Si vous brisez le commandement du général Changarnier, ce n’est pas seulement dans son honneur, c’est aussi dans sa sûreté que l’assemblée se sentira menacée. Que fera-t-elle? Je n’en sais rien. Croyez bien que les assemblées ont aussi leur esprit de conduite, et que la nôtre saura éviter dans la difficile situation que vous lui faites tout ce qui ne serait que ridicule... » La lutte était désormais trop engagée pour ne point éclater en plein parlement, et au jour du débat public, M. Thiers, reprenant cette histoire des relations de l’assemblée et de la présidence depuis deux ans, de tout ce qu’avait fait la majorité pour rester en paix avec l’Elysée, ajoutait ces paroles significatives : « Lorsque deux pouvoirs en présence ont entrepris l’un sur l’autre, si c’est celui qui a entrepris qui est obligé de reculer, il a un désagrément, c’est vrai ; si c’est celui sur lequel on a entrepris qui cède, alors sa faiblesse est tellement évidente à tous les yeux qu’il est perdu. Eh bien! je n’ajoute plus qu’un mot : il y a deux pouvoirs aujourd’hui dans l’état, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Si l’assemblée cède, il n’y en a plus qu’un ; et quand il n’y en aura plus qu’un, la forme du gouvernement