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degrés d’enseignement, rattacher l’instruction publique à l’état, réaliser enfin cette grande idée d’une éducation nationale et cependant respectueuse des droits et de la liberté d’autrui, civile sans irréligion, laïque sans fanatisme, voilà la tâche qui s’offrait aux méditations des trois ordres réunis pour le bien du royaume à Versailles[1].

Grande et belle tâche s’il en fut jamais et pour laquelle, heureusement les matériaux ne manquaient pas. « Avant 1789, il y avait en France, a dit excellemment M. Guizot[2], une grande et active concurrence entre tous les établissemens particuliers, toutes les congrégations, toutes les fondations savantes, littéraires, religieuses qui s’occupaient d’instruction publique. Cette concurrence était très active, très efficace, et c’est à cette concurrence qu’ont été dus en grande partie les bienfaits du système d’éducation de cette époque et la vitalité, cette vitalité énergique qu’il a manifestée à différentes époques. »

En effet, beaucoup de vitalité parmi beaucoup d’incohérence, d’excellentes fondations, mais une construction vicieuse, de très nombreux établissemens d’instruction de tout ordre, petites écoles, collèges, universités, disséminés sur toute la surface du territoire, mais sans ordre et sans relation et, pour compléter ce vaste ensemble, des sociétés savantes, des académies, des jeux floraux, des écoles spéciales, en un mot un état déjà très avancé de culture, tel était le tableau que présentait la France à la fin de l’ancien régime. M Villemain, auquel nous avons déjà fait plus d’un emprunt, a dressé le bilan complet de ces établissemens. D’après ses calculs, aux 562 collèges et aux 21 universités qui existaient en 1789, il faudrait ajouter, sans compter le Collège de France, 77 écoles spéciales ou professionnelles de dessin, d’hydrographie, de mathématiques, d’accouchement, d’art militaire, de marine, des mines, des ponts et chaussées, des sourds-muets, vétérinaires, etc., 40 académies, 18 jardins des plantes, 40 bibliothèques et un observatoire. Il n’est que juste de porter toutes ces fondations à l’actif de l’ancien régime. À chacun sa part : sans offenser la révolution, on peut bien se permettre de penser que la France ne croupissait pas absolument dans les ténèbres avant elle.


ALBERT DURUY.

  1. Voir le résumé des cahiers et pouvoirs remis par les bailliages et sénéchaussées à leurs députés aux états-généraux.
  2. Séance du 15 mars 1835.