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et des villes détruites, les chiffres des habitans qui furent massacrés dans ces régions, laissent bien loin derrière eux ceux de nos guerres civiles et religieuses. Quant aux supplices qui furent infligés aux vaincus, on peut se figurer leur variété par quelques exemples.

À la reprise de Yunnan-Fou par les armées impériales, des musulmans furent exécutés par vingt coups de sabre, d’autres furent enterrés jusqu’à mi-corps, la tête la première et les jambes en l’air comme des piquets ; ceux qui résistaient avaient les jarrets coupés avant d’être traînés au supplice. À Ch’en-Chiang, les soldats se ruèrent comme des forcenés sur les habitans, tuant, pillant et saccageant tout ce qu’ils rencontraient sur leur passage. Des femmes, épouvantées de se voir livrées à la brutalité des soldats, se suicidèrent en se jetant dans les puits avec leurs enfans ; celles que la peur de la mort avait retenues furent violées et vendues au plus offrant. C’est ainsi que cinq ou six mille créatures humaines subirent un sort infâme. Les vieillards furent, sans exception, passés par les armes et leurs têtes exposées sur les remparts. À l’occupation d’une ville dont le nom nous échappe, un musulman, à la fois prêtre et grand chef, jugeant la situation désespérée, usa de son influence sur les femmes pour les convaincre que le moment de passer dans un monde meilleur était arrivé, que les portes du ciel étaient ouvertes et qu’il fallait profiter de ce que Mahomet appelait à lui ses fidèles pour aller dans son paradis augmenter le nombre des houris. Une grande partie de ces malheureuses s’empoisonnèrent avec de l’opium et en firent prendre par force à leurs enfans. L’une de ces héroïnes, femme d’un général musulman, fit mieux. Prisonnière, ainsi que son mari, des Chinois, elle se dévoua jusqu’à la mort pour le faire évader. Elle y parvint, mais, comme elle s’y attendait, dès le lendemain, on la conduisit au supplice. C’était une femme jeune, d’une merveilleuse beauté et d’une grande valeur. À cheval, toujours au premier rang, elle combattait les impériaux à la tête d’un corps de cavalerie dont la direction lui avait été confiée. Nous étions en Chine lorsque ce fait s’est passé ; la nouvelle de sa mort y fit grand bruit. Enfin, à la suite de la prise de Tali-Fou, le commandant des troupes chinoises voulant fournir une preuve incontestable de la fin de la lutte, expédia aux habitans de Yunnan-Fou vingt-quatre paniers formant la charge de douze bêtes de somme, chaque panier contenant des oreilles humaines cousues ensemble et par paires. Ce hideux trophée fut exposé sur les murailles, au pilori de la ville, avec les dix-sept têtes des chefs qui avaient défendu Tali-Fou.

Il est temps, pour le lecteur comme pour nous, d’en finir avec ce tissu d’horreurs, et cependant il nous est impossible de ne pas