raconter la fin héroïque du dernier chef des musulmans au Yun-nan, de Tu Wên-hséou, un homme d’une rare énergie et digne d’une haute destinée.
Le 15 janvier 1873, cet infortuné, qui depuis quelques jours avait fait sa soumission et n’avait plus qu’à livrer son corps au vainqueur, revêtit ses plus beaux habits de cérémonie et, agissant jusqu’au bout de sa carrière en souverain, il fit préparer son palanquin jaune, couleur dont l’empereur de la Chine a seul le droit de se servir. Avant de quitter le palais où il ne devait plus revenir, il dit un dernier adieu à cette résidence dans laquelle s’étaient écoulées les plus belles années de sa vie. Puis, jetant un regard d’adieu sur les montagnes dont la ville de Tali est entourée et qui étaient le but de ses promenades favorites, il avala une boule d’opium et de fiente de paon. Comme ses femmes et ses enfans s’étaient empoisonnés sous ses yeux depuis plusieurs jours, il n’eut que quelques mots à dire à ceux de ses serviteurs qui tristement avaient préparé son départ.
Le parcours que devait suivre le cortège pour se rendre à la porte du Sud était encombré de gens du peuple qui venaient se prosterner encore une fois sur le passage de leur dernier sultan ; ce défilé avait un caractère solennel, et beaucoup de personnes, bien que n’ayant pas eu toujours à se louer de son administration, ne purent cacher leur émotion. Tu Wên-hséou, dont les sens commençaient à être paralysés par le poison, paraissait comme étranger à ce qui se passait autour de lui ; cependant, en arrivant aux portes de la ville, il fit un grand effort pour sortir de son palanquin afin de remercier la foule de sa sympathie. Une escorte de soldats impériaux qui l’attendait le conduisit dans le village occupé par le général Yang. Ce dernier se montra respectueux en présence du général vaincu ; il lui adressa quelques questions auxquelles Tu Wên-hséou répondit avec beaucoup de difficulté. Yang voyant qu’il ne tirerait que des paroles confuses de cet homme dont les momens étaient comptés, le fit partir pour la résidence du gouverneur, afin que celui-ci pût le voir vivant. Il était déjà trop tard : malgré la diligence qu’y mirent les porteurs, ils arrivèrent lorsque le prisonnier avait perdu connaissance. On le porta devant son farouche ennemi ; on essaya de le ranimer, on lui posa des questions, mais tout fut inutile ; il rendit bientôt le dernier soupir. Le lendemain, le gouverneur, — un monstre de cruauté, qui n’entra du reste jamais dans un ville ennemie que par la trahison et la duplicité de ceux qui la défendaient, — fit couper la tête au cadavre, et un courrier spécial, chargé de ce fardeau, fut expédié en toute hâte pour la capitale de la province, où elle fut mise dans du miel avant son envoi à Pékin.