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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/933

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Oui, certainement, le dictionnaire a naturalisé plus d’un mot dont ni la figure n’était plus française, ni le sens mieux déterminé, ni le service enfin plus utile. N’est-ce pas de reportage aujourd’hui que nous vivons ? « La librairie Calmann-Lévy met en vente un nouveau roman de MM. Edmond Texier et Camille Le Senne, intitulé le Mariage de Rosette. L’intrigue, très dramatique, se passe tout entière dans le monde théâtral, fait défiler devant le lecteur des figures connues de tout Paris et sur lesquelles il sera facile de mettre les noms. Cette nouvelle œuvre est appelée à un double succès d’émotion et de curiosité. » Sentez-vous bien toute la provocante habileté des quelques mots que je souligne ? Je suis forcé de convenir que la librairie Calmann-Lévy sait son métier. Voilà connaîtra son public, et voilà rédiger une annonce. Lecteur, si vous êtes curieux du « monde théâtral, » achetez le Mariage de Rosette, — et lisez les Amours d’un interne, si c’est peut-être du « monde médical » que vous êtes plus curieux. Une autre fois, étant de loisir, la Maîtresse vous fera pénétrer dans le « monde commercial, » en attendant que Monsieur le ministre vous fasse pénétrer dans le « monde politique ; » tt vous suivrez dans le « monde galant » la Dame du lac, à moins que vous n’aimiez mieux suivre Prégalas dans les coupe-gorge du « monde de la bourse. »

On le voit par cette seule et rapide énumération de titres : ce n’est pas hasard si nous rapprochons ici les noms de M. Jules Claretie, l’auteur de la Maîtresse et des Amours d’un interne, et de MM. Edmond Texier et Le Senne, les auteurs en collaboration de la Dame du lac et du Mariage de Rosette : ils travaillent tous trois dans la même partie. Leur domaine, c’est l’actualité. Servons-nous du mot que les poètes, ayant licence de tout oser, et puisque aussi bien nous sommes en veine de barbarisme, n’ont pas craint de mettre à la mode : la modernité, c’est leur domaine. Le proverbe a raison de dire qu’on ne ment pas à ses origines. Il y a des romanciers qui sont venus au roman par le théâtre, et dans tout un long récit qu’ils écrivent, n’y eût-il en t )ut qu’une scène, une seule scène de passion, elle sera dramatique, et coupée selon les lois du théâtre. Il y en a d’autres qui sont venus au roman par la poésie : ceux-là, leurs descriptions les trahissent, et pour consciencieusement qu’ils s’appliquent à la peinture de l’exacte réalité, je ne sais quoi de douloureux et d’ému perce toujours qui les fait reconnaître poètes. Il y en a d’autres encore, — et c’est le cas de nos auteurs, — qui sont venus au roman par le journalisme, et cela se sent justement à cette préoccupation qu’ils ont de construire leurs romans sur les choses du jour et d’imaginer, si je puis ainsi dire, dans la direction de l’attention publique.

Ils commencent par faire une espèce d’enquête générale sur l’état de l’opinion. Quel est l’événement parisien de l’année dernière dont le retentissement dure encore ou dont on puisse espérer à tant le moins de réveiller aisément l’écho ? De quelle intrigue pourrait-il bien former