brusquement changées en statues, voilà ce qui paraît curieux à M. Claretie. Peu importe d’ailleurs qu’il vienne en son temps ou qu’il soit amené sans raison suffisante. Est-il intéressant à connaître ? et le connaissez-vous ou si c’est M. Jules Claretie qui vous le fait connaître ? Voilà toute la question. Pareillement, dans le roman de MM. Le Senne et Texier, comment vous semble-t-il que soit enlevé ce rapide croquis d’Abraham ou de Samuel David ? Encore ici, reconnaissez-vous l’homme ou ne le reconnaissez-vous pas ? Si non, les auteurs sont en faute, et les voilà prêts, je n’en doute pas, à s’accuser de la meilleure grâce ; mais si oui, que demandez-vous davantage ? et le but n’est-il pas atteint ? C’est qu’ils font du roman, si vous le voulez et si vraiment vous tenez à ce mot, mais ils font du reportage et du journalisme d’abord.
Je disais tout à l’heure qu’ils n’avaient pas d’idée de roman antérieure au choix de leurs personnages, à la construction de leur intrigue, à l’accumulation de leurs matériaux. Je me trompais et cependant j’avais raison. Ils ont une ferme intention et un propos délibéré : c’est de donner au public ce que le public demande et de le servir selon son goût. Que si d’ailleurs ils se méprennent sur ce goût du public, il n’importe, et c’est ici, bien entendu, de ce qu’ils veulent faire, non de ce qu’ils font, que nous parlons. Il n’est pas de journaliste non plus qui ne soit exposé tous les jours à se méprendre sur la manière dont le public accueillera le premier Paris ou l’article de fond qu’il vient d’écrire. Mais, incontestablement, c’est sur l’état de l’opinion et sur le mouvement de la curiosité qu’il règle lui-même ou qu’il croit régler son article, et son premier souci, c’est de donner une forme, une figure, une voix à ce que pense, comme lui, toute une catégorie de lecteurs. Ainsi des romanciers qui font du reportage dans le roman. Il est possible qu’ils voient juste, il est possible qu’ils sachent observer, il est possible qu’ils sachent rendre, mais ils ont la main et l’œil ainsi faits qu’ils ne rendront, et n’observeront, et même ne verront que ce qu’ils croient particulièrement propre à piquer la curiosité du public auquel ils s’adressent. Ils écrivent pour être lus, — et, quoi qu’en disent les hommes à principes, c’est le cas de tous ceux qui écrivent, — mais j’estime qu’ils songent bien moins à se satisfaire eux-mêmes qu’à satisfaire un certain public. Ils sont comme à la piste de la vérité d’aujourd’hui, médiocrement soucieux, à ce qu’il semble, de savoir si la vérité d’hier était la même et si celle d’aujourd’hui ne sera pas l’erreur de demain. Et nous pouvons dire que tous les sujets, indistinctement, leur sont bons, parce qu’en effet il n’en est pas un dans le cadre de qui, par avance, il ne soient sûrs, avec un peu d’habileté, de pouvoir introduire tout l’arriéré de leurs observations et tout le stock, en quelque manière, de leurs notes accumulées.
Or, et c’est un point encore d’une grande importance, il n’y a rien, je crois, qui contribue, plus sûrement que cette disposition d’esprit, à