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campés devant Orléans avaient déjà remporté des avantages notables. Jamais le danger n’avait été plus pressant. Au milieu de l’anxiété générale, avec quel bonheur une foule de personnes dévotes du parti de Charles VII saluèrent l’approche de la double solennité d’où elles attendaient depuis si longtemps le salut de la France !

La femme de Jacques d’Arc, Isabelle Romée de Vouthon, et sa fille Jeannette étaient trop pieuses, elles aimaient trop le dauphin pour ne pas partager ces sentimens. À peine sortie de l’enfance, Jeannette s’était fait remarquer par la ferveur de sa dévotion envers la Vierge. Tous les samedis, au retour de la belle saison, elle n’avait pas de divertissement plus doux que d’aller, en compagnie de sa sœur Catherine, parer de guirlandes l’autel de la petite chapelle de Notre-Dame de Bermont. À ce point de vue, on pourrait s’étonner que le culte de Marie, qui avait tenu une si grande place dans sa chaste adolescence, ne dût point être compté parmi les facteurs principaux de sa mission ; mais l’étude attentive des faits prouve qu’il n’en a pas été ainsi. À Rouen, elle désigna nommément la Vierge parmi les personnages surnaturels qui l’avaient députée vers le roi de France : « Répond qu’elle est venue au roi de France de par Dieu, de par la vierge Marie et tous les bienheureux saints et saintes du paradis. » Pendant les trois semaines qu’elle passa à Vaucouleurs avant de partir pour Chinon, un témoin oculaire, entendu au procès de réhabilitation, raconta qu’il l’avait vue passer des journées entières dans la chapelle souterraine du château[1], prosternée devant l’image de la Vierge. Un chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, écrivant à l’un de ses amis peu après l’arrivée de la Pucelle à la cour de Charles VII, disait que c’était Dieu lui-même, touché des prières de la vierge Marie, qui l’avait envoyée.

Au moyen âge, le carême, surtout lorsqu’il précédait un jubilé aussi solennel que celui du grand vendredi de l’Annonciation, était une époque de prières incessantes, de pénitence insigne et de mortification universelle. La papauté avait attaché depuis longtemps à la célébration de ce jubilé des indulgences exceptionnelles qui redoublaient encore le zèle des âmes pieuses. Les fidèles que des devoirs de famille, l’âge, l’éloignement ou leur état de santé empêchaient de se rendre au Puy, pouvaient néanmoins gagner ces indulgences ; pour y avoir part, il leur suffisait de réciter les prières prescrites,

  1. La chapelle du château de Vaucouleurs où Jeanne allait prier subsiste encore, et le patriotisme éclairé d’une élite de Lorrains vient de la dégager de l’entourage d’une construction moderne où elle avait été englobée. Cette chapelle est aujourd’hui, avec une porte d’entrée, dite la porte de France, le seul vestige authentique d’une forteresse qui fut l’un des boulevards de la défense nationale au XVe siècle.