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peut être mesurée qu’aux circonstances. Le gouvernement a jugé que le moment était venu de rendre aux artistes, dans leur intérêt comme dans le sien, une indépendance qu’ils avaient laissé perdre. L’expérience montrera s’il s’est trompé d’heure. En tout cas, le mouvement naturel des choses devait infailliblement amener, tôt ou tard, une solution de ce genre. Un coup d’œil jeté sur les vicissitudes antérieures de l’exposition suffira à montrer les difficultés du problème que, d’un commun accord, l’état et les artistes s’efforcent aujourd’hui de résoudre par la liberté.


I

Lorsqu’une douzaine de peintres et sculpteurs se réunirent, en 1648, à Paris, pour établir une Académie, c’étaient des révoltés. Ils organisaient l’insurrection des vrais artistes contre la corporation des gens de métier, peintres à la toise, tapissiers, doreurs, selliers, etc., qui voulaient à toute force, en vertu de privilèges séculaires, les emprisonner dans leur règlement suranné, les condamner à tenir boutique, les garder sous son contrôle. La maîtrise avait la loi pour elle ; comme tous les révoltés contre les institutions féodales, les artistes firent appel au roi. Que demandaient-ils ? Peu de chose, suivant les mœurs d’aujourd’hui ; beaucoup, suivant les usages d’alors : le droit de poser un modèle, celui d’assembler quelques élèves autour de ce modèle, celui de vendre ou d’échanger librement leurs ouvrages, celui enfin d’exercer leur art sans avoir à prouver cinq années d’apprentissage et quatre années de compagnonnage. Tous ces droits leur étaient interdits par les règlemens de la maîtrise, datés de 1391, renouvelés en 1582, homologués à nouveau en 1620 par le Châtelet, ayant force de loi.

La tentative d’émancipation remontait à quelques années. « Un bourgeois de Paris, dit Sauval, logé près de Saint-Eustache, prêta sa salle à quelques amis, au nombre de sept ou huit, tous jeunes gens qui savoient un peu dessiner, mais dans la résolution de se perfectionner d’après le naturel. Pour cela, ils choisirent un petit homme, faible, appelé Vandeschoux, qui leur servit de modèle près de six mois, et alors se rendoient à la rue du Coq, dans la cave de l’un d’entre eux, qui leur fut fort commode parce que c’étoit en hiver. Après Vandeschoux ils prirent un certain ivrogne de savetier nommé Marin, mais bel homme et bien formé. Cette manière de trafic à montrer son corps simplement et à gagner sa vie à son aise fut cause que, depuis, Dubois, Branlan et Girard, tous bien faits, s’offrirent pour modèle à tous venans et prenoient de l’argent. » Parmi les dangereux conspirateurs qui se cachaient dans une cave pour admirer les torses de Vandeschoux et de Marin, se trouvaient