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restreindre au besoin, de telle sorte qu’il y avait toujours place pour un talent vraiment digne d’être admis. Ce sont là de sérieuses différences, des différences de principe qui modifient profondément le caractère, les devoirs et l’influence de semblables institutions[1]. »

Les inconvéniens que présentait la concession exclusive du droit de juger et de récompenser à un corps permanent et restreint furent multipliés par le mode adopté pour les opérations. C’était, nous l’avons vu, le mode collectif. Les œuvres de tout genre, tableaux, statues, gravures, dessins d’architecture, étaient donc jugées indifféremment par les membres présens, quelle que fût leur spécialité. La présence de neuf membres seulement étant nécessaire, il arrivait fréquemment qu’un tableau ou une statue fussent jugés par une majorité considérable d’architectes, ces derniers se montrant, paraît-il, aussi exacts aux séances que les peintres et sculpteurs l’étaient peu. On colportait mille anecdotes scandaleuses sur cette prépondérance des architectes. La férocité de Fontaine surtout était proverbiale ; on lui attribuait ce mot : « Je suis peu aimé des peintres, mais je le leur rends bien, et toutes les fois que je peux refuser de la peinture, c’est de grand cœur. » La bataille romantique était dans son plein. Certaines exclusions retentissantes donnaient beau jeu aux commérages et aux lamentations. Le jury apportait évidemment dans son examen un parti-pris fondé sur des convictions respectables, mais qui jetaient le désespoir parmi les jeunes gens. A partir de 1840, la crise devient aiguë. Les novateurs les plus justement aimés, Jules Dupré, Théodore Rousseau, Meissonier, renoncent au Salon. Ingres lui-même, que ces mesquines querelles fatiguent et dégoûtent, n’y veut plus paraître. Comme ses confrères de l’Académie les plus populaires, Paul Delaroche, Vernet, Schnetz, il a d’ailleurs dégagé depuis longtemps sa responsabilité en n’assistant pas aux séances du jury. En 1347, l’exaspération dans les ateliers atteint son paroxysme ; on cite parmi les refusés les peintres Hesse, Bédouin, Chassériau, Corot, Desgoffe, Daubigny, J. Gigoux, Guignet, parmi les sculpteurs Ottin, Mène, Dantan, Maindron et bien d’autres.

C’est à ce moment que parut, comme un programme d’insurrection, une brochure, de l’Oppression dans les arts, qui fit grand bruit. On y rappelait l’histoire des arts en France, on y posait pour la première fois des conclusions facilement réalisables. On y prouvait qu’il suffisait de s’entendre pour être libres, on y montrait l’association de secours, récemment fondée par les artistes, comme pouvant servir de noyau à une corporation active qui défendrait tous leurs intérêts matériels et moraux. en attendant, on y

  1. L. VItet, l’Académie royale de peinture et de sculpture, p. 4, 5, 6.