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sciences et les arts ; il ne l’est point qu’elle prenne indifféremment à sa charge tous ceux qui s’exercent aux lettres, aux sciences, aux arts. La pratique des arts du dessin, peinture, sculpture, gravure, autrefois renfermée dans un groupe extrêmement restreint d’hommes obscurs et pauvres poussés par une vocation déterminée, s’est étendue et s’étendra, avec une rapidité toujours croissante, du haut en bas du corps social. Pour les fortunés, c’est désormais une intelligente distraction, un luxe de bon goût, un complément agréable d’éducation ; pour les déshérités, c’est un moyen aléatoire, mais facile et tentant, d’arriver rapidement, par un chemin qu’on croit libre et joyeux, à la réputation et à la fortune. L’amour du beau et du vrai tient, en somme, une place très secondaire dans les préoccupations de ces deux catégories d’artistes, dont l’une, en exposant, vise aux joies d’amour-propre et l’autre aux satisfactions d’argent. Ce sont pourtant ces deux classes, soit d’amateurs, soit d’industriels, qui font d’ordinaire le plus de bruit autour du Salon. L’état n’a-t-il pas le droit strict de les renvoyer à leurs petites affaires ? La mission qu’il doit remplir, en ne s’occupant que des artistes sérieux, est assez considérable pour qu’il n’en veuille point d’autre. Le terrain est bien préparé, à la suite de tous ces tâtonnemens, pour que chacun, se contentant de son rôle et reprenant sa place, contribue utilement à l’œuvre commune.

Soit donc que les artistes se forment en groupes indépendans, comme quelques-uns tentent de le faire, soit qu’ils se réunissent en une association générale, c’est à eux qu’il appartient désormais, dans leur propre intérêt, de trouver les moyens les plus favorables pour soumettre au jugement public leur production courante, déjà si considérable qu’aucun édifice public ne sera bientôt assez vaste pour la contenir. Le succès de toutes les expositions libres ouvertes en ces derniers temps est bien fait pour les encourager. Le succès probable du Salon qu’ils ont eux-mêmes organisé les déterminera mieux encore à persister dans une détermination qui leur assure l’indépendance et la dignité. Le jour où la situation libre des artistes sera définitivement établie, leurs rapports avec l’état seront singulièrement simplifiés, car l’état n’aura plus à vis-à-vis de lui, au lieu d’une foule indéterminée fort difficile à satisfaire, que les hautes individualités désignées à son choix par leur talent pour la décoration des édifices nationaux ou l’enrichissement des musées français. Là où les situations : s’éclaircissent, les difficultés cessent, et ce sont les comptes nets qui font les bons amis.


GEORGE LAFENESTRE.