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ni la richesse imagée de ces tirades dont quelques-unes sont, pour le luxe métaphorique, dignes de Shakspeare, celle de l’abbé Annibal après le meurtre de Rafaël, par exemple :

Va, ta mort est ma vie, insensé !


Il lui échappa que ce passage de Don Paez aujourd’hui célèbre :

Amour, fléau du monde, exécrable folie, etc.


n’était qu’une traduction admirablement modernisée de ce passage d’Euripide : « Amour, tyran des hommes et des dieux, » qui transporta un jour d’enthousiasme tout un public de la Grèce. Et ce n’est pas à ces heureuses assimilations que se bornait le mérite littéraire des Contes d’Espagne et d’Italie. Le poète a trouvé par la suite des inspirations plus hautes, plus nobles ; à proprement parler, il n’a jamais su mieux composer que dans ce premier volume. Les fables de ces poèmes sont clairement conçues, les plans nettement suivis, les personnages vigoureusement campés. Ajoutons que la substance du livre était en merveilleux accord avec son titre. Ce sont bien de vrais contes d’Espagne et d’Italie que ces poèmes que l’on dirait tirés d’un Bandello du XVIIIe siècle et traduits en style romantique. Don Paez est plein de chaude et franche couleur espagnole. Ce taudis infâme, si bien décrit, où le héros à la fin du poème va chercher le philtre vengeur, ne vous rappelle-t-il pas celui où le chien Berganza de Cervantes logea chez la Canizarès, ou celui où l’académie des thons tient ses grouillantes assises dans Rinconete et Cortadillo ? Et cet intérieur de la Bélisa, ce mouvement machinal de la vieille courtisane se soulevant de son grabat pour accueillir le jeune officier, et tous les détails équivoques de l’entrevue, n’avez-vous pas vu tout cela dans les Caprices de Francisco Goya ? Quant au duel de don Paez et de don Etur, je ne vois rien qui puisse en donner une idée si ce n’est une certaine description que nous a laissée le marquis de Mirabeau d’une bataille entre montagnards pyrénéens aux approches de la révolution ; toute la cruelle énergie espagnole est dans cette page superbe. Les Marrons du feu ne sont autre chose, — vous en étiez-vous aperçu ? — qu’une transformation de l’histoire de Mlle de la Pommeraye et du marquis des Arcis, mais que cette transformation est franchement italienne ! Quelle véhémence et quelle spontanéité toutes romaines dans les colères et les résolutions de la Camargo ! Ce n’est pas elle qui s’attardera patiemment et froidement aux tortueux stratagèmes de