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joindre le roi Richard en Palestine, raconte qu’elle côtoya, de Lisbonne à Marseille, tout le rivage, de la Méditerranée et vint toucher successivement dans l’estuaire du Rhône aux ports de Saint-Gilles et à la bonne ville archiépiscopale d’Arles-le-Blanc.

Tous ces témoignages sont concordans et permettent d’établir que le Rhône alimentait autrefois autour d’Arles une grande lagune ; mais, tout en l’inondant, il a été l’agent principal de son dessèchement, et la plaine est aujourd’hui couverte de ses alluvions. Les quantités énormes de matières minérales que le fleuve a déposées dans de fond de ces étangs jadis navigables les ont transformés successivement en marais à peine flottables, puis en flaques d’eau putrides dont des exhalaisons pernicieuses ont fait bientôt le vide sur ce territoire autrefois si peuplé. C’est un phénomène commun d’ailleurs à toutes les lagunes littorales de finir par être colmatées et comblées par le fleuve qui les alimentait ; et, bien que les mots paraissent jurer ensemble, on peut dire qu’elles se dessèchent par immersion. La lagune vive se transforme ainsi peu à peu en lagune morte. Cette évolution naturelle est lente, mais fatale ; et ses conséquences immédiates sont tout d’abord la fièvre, la misère et la dépopulation. Le grand dessèchement commencé à la fin du XVIe siècle par Van Ems continue de nos jours. L’établissement du canal d’Arles à Bouc, l’ouverture des roubines qui sillonnent les points les plus bas de la plaine, le réseau des canaux de vidange qui écoulent au Rhône toutes les eaux stagnantes, la transformation agricole de la Grau et de la Camargue nous permettront de voir un jour la fin de cette période pestilentielle aujourd’hui presque terminée ; et, si la ville actuelle ne doit plus revoir les jours brillans de l’ancienne « Rome des Gaules, » du moins est-on parvenu à créer autour de ses vieilles murailles une plaine cultivable et fertile à la place de la vaste lagune, désormais perdue et envasée, qui fut l’un des premiers ports du monde.

Ce port, dit Ausone, était double, et la ville s’étendait sur les deux rives du fleuve. A gauche, la cité riche et patricienne, à droite, la ville plébéienne, maritime et commerciale. D’un côté, le palais de l’empereur, le cirque, le théâtre, les temples, le monde des courtisans, les heureux et les gens du plaisir ; de l’autre, les gens d’affaire, les mariniers et le peuple. Le fleuve et les étangs réunis formaient autour des remparts un immense bassin précédé d’une rade intérieure. Celle-ci s’étendait jusqu’au golfe de Fos, et le grau de Galéjon lui ouvrait l’accès de la mer. Il était donc facile à tous les navires de se rendre au pied de la colline d’Arles presque entourée par les eaux ; et, quelque ampoulé que nous paraisse le texte de l’édit d’Honorius, il peut donner une idée de l’importance