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La dernière de ces tours-sémaphores est la tour Saint-Louis, construite en 1737 ; elle était alors établie sur le rivage même de la mer ; aujourd’hui elle en est à plus de 7 kilomètres.

La progression des embouchures est donc un phénomène très simple et dû uniquement à l’amoncellement des madères charriées par le fleuve. Les causes de la formation des barres sont un peu plus complexes, Les opinions des hydrauliciens sont d’ailleurs partagées. Les uns les attribuent exclusivement à la dispersion des eaux du fleuve lorsqu’il s’épanouit en mer, ce qui diminue sa vitesse et précipite, par suite, les troubles dont il était chargé ; les autres au refoulement exercé par les vagues pendant les gros temps. On les a quelquefois expliquées par l’existence de flots de fond, ou en supposant que le courant fluvial, formé d’eaux douces plus légères que les eaux salées, détermine, lorsqu’il glisse à la surface de la mer, un contre-courant inférieur et en sens inverse qui rase le fond, forme un remous et arrête ainsi brusquement les sables qui tombent de la partie supérieure. Quelques ingénieurs même les ont expliquées par l’action oscillatoire des marées ; mais cette dernière hypothèse est la moins admissible, puisque les barres se produisent avec leur maximum d’intensité dans les mers inertes et à niveau à peu près constant comme la Méditerranée ou le golfe du Mexique, qui n’est qu’une méditerranée communiquant avec l’Océan-Atlantique.

Elie de Beaumont est celui qui a le mieux étudié la nature du phénomène. Il rattache avec raison l’existence des barres à cette propriété générale que possède la mer de modeler elle-même le contour de son rivage et de se construire une véritable digue, en retroussant les alluvions et les sables de la plage par l’action incessante et le balancement rythmique de ses vagues. « La mer, dit-il, dans les endroits où elle n’a pas une grande profondeur, modifie la forme de son lit en entassant les matières qu’elle met en mouvement et en donnant au fond une certaine inclinaison qui est plus en harmonie avec ses mouvemens. Elle agite les matières qui le couvrent et tend à en élever une partie sur ses bords sous la forme d’un cordon qui marque les limites de son domaine. Au moyen de ce mécanisme, elle se renferme pour ainsi dire chez elle. Elle obstrue en général les entrées des rivières, et celles-ci ont une profondeur considérable à une certaine distance de leur embouchure. En se rapprochant de la mer, il y a un endroit moins profond, c’est cet endroit qu’on appelle la barre. En dedans on est en rivière, en dehors on est en mer. La rade est en dehors, le port est en dedans. »

Le phénomène des barres n’est donc, en définitive, qu’un cas