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Le quatrième consulat de Marius venait de commencer ; on était en l’an de Rome 652, correspondant à la 101e année avant Jésus-Christ, lorsqu’on apprit à Rome la marche des barbares. Le vainqueur de Jugurtha avait toute la confiance du sénat et des légions ; il reçut immédiatement l’ordre de repasser les Alpes. Il vint placer son camp près du Rhône, le fortifia avec soin et y réunit d’abondantes provisions, de manière à ne pas être forcé, par le manque de vivres, à livrer bataille si son intérêt ne venait pas le lui commander. Il est certain toutefois que l’armée romaine occupa successivement plusieurs campemens dans la vallée du Rhône pendant les trois années d’attente qu’elle eut à subir avant de recevoir le choc des barbares. La nécessité de trouver des fourrages pour les chevaux était à elle seule un motif suffisant de changement ; et, bien qu’il faille absolument proscrire l’étymologie tout à fait inexacte qui fait de l’île de la Camargue un champ de Marius, Caii Marii ager, il est très probable que la basse plaine d’Arles, submersible par les eaux du Rhône, couverte de pâturages et de cultures, fut à cette époque un parc d’approvisionnemens pour les légions et la cavalerie romaine. On l’appelait le grenier de l’armée romaine, horrea ac cellaria totius militiæ romanæ.

Le nom grec de la ville d’Arles, qui était Theline (θηλή, mamelle), n’était du reste que la signification imagée de la merveilleuse richesse de son terroir. On ne doit donc pas s’étonner de rencontrer partout en Provence les traces du passage de Marius, dont le souvenir presque légendaire se retrouve dans les moindres bourgades ; mais il est difficile de préciser ses divers campemens. Le seul d’ailleurs qui ait une importance sérieuse est celui dont parle Plutarque et qui était situé près de la rive gauche du Rhône, sur un point fortifié par la nature et par l’art, dans une situation telle que l’armée pouvait recevoir des approvisionnemens à la fois par le fleuve et par la mer. Des études récentes ont permis de déterminer ce camp avec une très grande précision. Il existe au-dessus de la petite ville de Saint-Gabriel, — l’ancienne Eniaginum de la voie romaine, — un plateau calcaire aux falaises abruptes, qui forme le cap le plus avancé du côté du Rhône de la chaîne des Alpines, et domine à la fois la plaine et le fleuve. C’est sur cette terrasse que Marius, solidement retranché, attendit pendant près d’un an les barbares, qu’il put surveiller leur passage du Rhône, repousser leurs premières attaques sans quitter sa position défensive et maintenir ses soldats impassibles devant leurs injures et leurs provocations ; il les laissa ainsi défiler pendant plusieurs jours le long de ses retranchemens. On sait avec quelle vigueur il se mit ensuite à leurs trousses et l’hécatombe sanglante qu’il en fit quelques