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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/213

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sera prochainement réintégré dans ses droits, et ses espérances sont toujours prêtes à revivre. Quand Alger fut occupé par les Français, Arabes et Turcs vendirent à bas prix leurs maisons de campagne aux juifs, dans la pensée que le conquérant ne tarderait pas à repasser la mer et que leurs acheteurs s’empresseraient de rendre gorge. Les descendais des Maures chassés d’Espagne sont convaincus également que quelque prophète ne peut manquer de les remettre en possession de Grenade et de tout ce que perdit Boabdil. Les fugitifs avaient eu soin d’emporter les clés de leurs maisons, et on se les transmet de père en fils, pour en faire usage quand le jour de la revanche sera venu, car on se plaît à croire que portes et serrures sont demeurées à leur place ; on n’aura que la peine de donner un tour de clé et d’entrer. Comme ses sujets, le hey de Tunis a la mémoire et l’espérance tenaces. Il se rappelle le temps où un souverain barbaresque forçait les empereurs et les rois à compter avec lui, la gloire de ses ancêtres lui emplit le cœur et la bouche. Aussi lui a-t-on persuadé facilement que la France, devant laquelle il tremblait, n’était plus à craindre, qu’elle était résignée à tous les dénis de justice et résolue à fuir tous les hasards, qu’on pouvait la traiter cavalièrement, qu’elle buvait les affronts comme de l’eau, que si elle faisait mine de se fâcher, il n’y avait pas à s’inquiéter de ses rodomontades, et que si elle s’avisait de passer des menaces à l’exécution, l’univers tout entier se ferait une fête de prêter main-forte à Mohamed-es-Sadok. On assure que toutes ces belles choses lui ont été dites en italien ; c’est une langue qu’il entend et qu’il parle.

S’il est vrai que le consul d’Italie, M. Maccio, ait eu la main dans les difficultés et les chicanes que le bey nous a suscitées dernièrement, s’il est vrai qu’il l’ait poussé à se mettre en révolte contre l’influence française, nous doutons que ce diplomate remuant ait bien mérité de son pays par ses intrigues. Il ne peut venir à l’esprit de personne de nier que l’Italie n’ait des intérêts en Tunisie. Près de 15,000 de ses nationaux y sont établis, pour la plupart sans esprit de retour. Elle fournit à la régence quelques commerçans et des terrassiers, des plâtriers, des briquetiers, des ouvriers de tout genre, venus de Sicile, de Sardaigne ou des Calabres. Elle lui fournit aussi des comédiens et des chanteurs que l’insuffisance de leurs talens a fait exclure de la Scala ou de San-Carlo, ce que Cicéron appelait des acteurs siffles de premier ordre, ex primo ordine explosorum. L’italien est la. langue courante dans la colonie européenne de Tunis, on s’en sert dans les transactions avec les indigènes, et les Français eux-mêmes doivent rapprendre. Il est incontestable aussi que la marine marchande du jeune royaume joue un rôle dominant dans les eaux tunisiennes ; sur six cent quatre-vingt-trois navires à voile ou à vapeur qui sont entrés dans le port de la Goulette en 1879, plus de cinq cents lui appartenaient. Il n’est pas moins certain que les Italiens ont été attirés en Tunisie par