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ville de pédantisme, d’acrimonie, de haines, de petitesses d’esprit et de querelles. Le fanatisme des diverses sectes qui s’en arrachent les sanctuaires est tantôt atroce, tantôt grotesque ; mais soit qu’il amène des conflits brutaux, soit qu’il se traduise par des querelles mesquines, il n’en paraît pas moins odieux aux imaginations tendres et aux esprits délicats. Les séditions religieuses y alternent avec les plus honteux marivaudages de sacristains. Jésus n’a pas réussi à étouffer le pharisaïsme. Il subsiste plus que jamais dans la colonie juive qui forme à Jérusalem une sorte de société de casuistique uniquement occupée à réduire l’étude de la loi à d’absurdes minuties. Les chrétiens, par leurs divisions et par leurs luttes, s’éloignent encore plus du large esprit de l’évangile. Pour la plupart des moines grecs ou latins, tout l’effort de la religion se réduit à s’emparer de quelques centimètres de plus dans une chapelle apocryphe et à contrister amèrement leurs rivaux par des victoires peu charitables. Quant à l’aspect général de la ville, il est toujours tel qu’à l’époque où Jésus ne pouvait le contempler sans colère ou sans dédain. Le commerce des choses saintes s’étale avec cynisme, non-seulement dans les rues et sur les places, où l’on ne saurait faire un pas sans rencontrer des marchands de reliques, mais jusque dans le saint-sépulcre et dans les églises les plus vénérées. M. Renan a décrit avec finesse l’émotion qu’un spectacle du même genre causait à Jésus : « Tout ce qu’il voyait à Jérusalem, dit-il, l’indisposait. Le temple, comme en général les lieux de dévotion très fréquentés, offrait un aspect peu édifiant. Le service du culte entraînait une foule de détails assez repoussans, surtout des opérations mercantiles, par suite desquelles de vraies boutiques s’étaient établies dans l’enceinte sacrée. On y vendait des bêtes pour les sacrifices ; il s’y trouvait des tables pour l’échange de la monnaie ; par momens on se serait cru dans un bazar. Les bas officiers du temple remplissaient sans doute leurs fonctions avec la vulgarité irréligieuse des sacristains de tous les temps. Cet air profane et distrait dans le maniement des choses saintes blessait le sentiment religieux de Jésus, parfois porté jusqu’au scrupule. Il disait qu’on avait fait de la maison de la prière une caverne de voleurs. Un jour même, dit-on, la colère l’emporta ; il frappa à coups de fouet ces ignobles vendeurs et renversa leurs tables. » C’est sans nul doute à travers la Jérusalem moderne que M. Renan a eu cette vue si juste, si fidèle, si vivante de la Jérusalem antique. Aujourd’hui, comme jadis, la ville sainte est livrée aux pharisiens et aux marchands. Pourquoi faut-il que Jésus ne soit plus là pour accabler les uns sous sa parole ardente et pour frapper les autres de son fouet vengeur !


GABRIEL CHARMES.