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Voici ce que nous dit Mme Albana Mignaty dans sa préface sur l’origine de son livre : « Un court séjour que je fis à Parme il y a quelques années, me révéla le génie du Corrège. Je connaissais les grands peintres de Florence, d’Ombrie, de Rome et de Venise, mais aucun de leurs chefs-d’œuvre ne m’avait touchée comme les fresques d’Allegri. La grâce merveilleuse de son pinceau, le charme profond de ses têtes me rappelèrent ce qu’on raconte des plus belles peintures de la Grèce antique et ce qu’on voit, comme en rêve, au front de la célèbre Muse de Cortone. Outre cette grâce et cette beauté ineffable, je vis rayonner dans les yeux de ses voyans et de ses prophètes les splendeurs infinies du monde idéal. Pour tout dire, les émotions que me donnèrent ces peintures ne pouvaient se comparer qu’aux enchantemens de la musique et de la poésie. » Le livre débute par une étude originale sur le développement de la culture italienne pendant la renaissance. Dans ce tableau coloré, l’auteur esquisse à grands traits le puissant mouvement de rénovation qui commence dès le XIIe siècle et atteint toute sa force au XVe et au XVIe. Il essaie de surprendre les éclosions successives, les nombreux avatars du génie de la renaissance dans les profondeurs mêmes de l’âme italienne, c’est-à-dire dans Frédéric II, « ce premier amant de l’Italie, » puis dans le poète de la Divine Comédie, « qui, par Béatrice, dressa une échelle entre la terre et le ciel ; » dans Giotto, dans Savonarole, enfin dans ces géans de la peinture qui se nomment Michel-Ange, Léonard et Raphaël. « On peut, dit Mme Mignaty, définir en deux mots le grand phénomène de la renaissance, dont procède toute notre culture intellectuelle. Avant elle il y avait dans l’humanité deux courans de pensée qui, loin de s’unir, n’avaient cessé de se combattre et dont l’un était presque parvenu à refouler l’autre : le courant chrétien et le courant païen. La renaissance fut la réconciliation et une sorte de mariage entre la pensée chrétienne et le génie antique ressuscité. L’esprit moderne naît de cette union. » Selon l’auteur, c’est dans le Corrège que la fusion des deux mondes, de l’hellénisme et du christianisme, se serait opérée de la manière la plus harmonieuse et la plus parfaite. Le nouveau biographe d’Allegri voit donc en lui le plus merveilleux des peintres et l’interprète intime de la renaissance. Assurément il y a dans cette vue quelque chose de personnel et d’osé. Mais pour ceux-là même qui ne partagent pas le point de vue de l’auteur, ce livre a le singulier mérite de dégager la figure d’un grand artiste du voile impénétrable qui l’enveloppait jusqu’ici et de nous donner de toute son œuvre une sensation nouvelle, puissante, parfois impétueuse, comme si tous ces personnages sortaient de leurs toiles et de leurs murs silencieux pour nous raconter leur vie. Le curieux mélange d’érudition et de divination poétique, le souffle de passion