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élevée qui traverse ces pages excite la contradiction, éveille les idées, ouvre des perspectives inattendues. « Grecque de naissance, dit l’auteur, et me souvenant toujours de ma patrie, je serais heureuse de faire aimer davantage en France celui de tous les artistes qui a le mieux uni le génie de la Grèce au génie de l’humanité. » Il est certain que les œuvres d’Allegri ont toujours obtenu en France une sympathie toute spontanée. Son charme et son ingénuité exercent sur nous une séduction irrésistible, et c’est parmi nous qu’il a trouvé des disciples posthumes comme Prudhon et Baudry.

J’essaierai à mon tour de donner une idée sommaire de la vie et de l’œuvre du Corrège en rappelant mes souvenirs d’une visite à Parme et en m’aidant de ce livre remarquable, qui est à la fois une résurrection de l’artiste et un monument élevé à sa gloire.


I

Si nous replaçons le Corrège dans son milieu, il nous apparaît comme une figure lumineuse sur un fond violent et sombre. Ce génie pensif au beau sourire se détache sur une bataille mêlée d’une orgie, que domine un ciel noir chargé d’orages.

De tous les pays d’Italie, la Lombardie fut au moyen âge le théâtre des luttes les plus sanglantes. Les Lombards, envahisseurs féroces, s’adoucirent un peu en se croisant avec le sang italique, mais ils restèrent une race belliqueuse, turbulente, forte contre l’étranger. La ligue lombarde en fit preuve. Le pays se divisa en une foule de villes et de principautés qui ne cessaient de guerroyer entre elles. Il faut lire les chroniqueurs du temps pour se faire une idée des mœurs lombardes du XIIIe et du XIVe siècle. Le fond de sauvagerie et de brutalité qu’on y trouve contraste avec les raffinemens excessifs des villes de l’Italie centrale. C’est un mélange d’âpre barbarie, de luxe monstrueux et de vice effréné. Voici comment le biographe du Corrège résume des faits épars dans les chroniques de Parme, de Plaisance et de Guastalla. « L’ambition des chefs et la rage des partis déchiraient incessamment les villes. Ni loi respectée, ni patriotisme, ni tradition ; mais la lutte acharnée pour le pouvoir et toutes les passions lâchées à la curée du plaisir. L’extrême misère côtoyait l’extrême richesse, et les fêtes les plus folles reprenaient après les horreurs et les ruines des guerres civiles. » Plus affreuse que la guerre était la peste qui s’abattait fréquemment sur ces contrées. « Dès que la sinistre nouvelle de l’approche du fléau arrivait dans une ville, il s’en élevait un cri d’horreur, et la population se dispersait devant le messager de mauvais augure. Mais on fermait les portes de la cité pour empêcher le mal de se répandre. Les cloches ne sonnaient plus, l’herbe