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manuscrits de la Bibliothèque nationale, où elle forme un recueil intitulé : Tableau du parlement de Paris.

A l’exception de quelques chefs, morts dans l’intervalle, l’ardente génération qui avait fait les deux frondes figure presque tout entière au dossier des renseignemens confidentiels ; les noms illustrés par une résistance de parole et d’action y reparaissent avec un signalement accusateur. Broussel n’était plus ; il n’avait guère survécu à la proscription dont il fut frappé en octobre 1652. Mathieu Molé, fatigué de lutter contre les exagérés de tous les partis, était descendu de son siège de premier président l’année suivante ; mais leurs contemporains et leurs émules en courage civil, les Charton, les Blancmesnil, les de Novion, tant d’autres qui avaient donné le branle aux emportemens de l’assemblée des chambres, les harangueurs que la clameur des enquêtes applaudissait, tous ces meneurs éloquens ou intrépides, que Retz a mis en scène, vivaient encore et gardaient leurs convictions, leurs passions, leur influence. Le redoutable personnel de cette magistrature politique avait vieilli, mais n’avait pas changé.

Sous la plume de l’argus ministériel il se divise en plusieurs catégories de suspects. Presque à chaque ligne nous trouvons de ces mots tranchans et décisifs qui marquent un caractère, résument une existence et attachent à un nom la sentence qui le juge : « A esté grand frondeur et s’en ressent toujours ; a esté dans le party des princes ; est opposé aux affaires du roy et s’en fait gloire ; n’a nulle déférence pour la cour ; a esté plusieurs fois proscrit. » Parmi les magistrats stigmatisés d’une note indélébile et d’un souvenir que personne, d’aucun côté, ne consent à effacer, les « grands parleurs » tiennent le premier rang ; l’auteur du rapport abonde en qualificatifs pour les désigner : « Esprit libre, s’explique aysément, à sa cabale dans le palais ; hardi harangueur dans les chambres assemblées, amateur de louanges et de nouveautés ; se pique d’éloquence, a beau débit, aime la dignité du parlement. » En homme qui connaît l’opinion du maître et qui sait le juste prix d’un disgracié, il traite sans façon ces orateurs parlementaires, il s’exprime sur eux sans la moindre rhétorique : « Grand clabaud dans l’assemblée ; fameux braillard ; de plus de bruyt que de fonds, un vray enfant de Paris. » Vient ensuite le petit groupe des vertueux et des sages, qui ne soulève aucune tempête, mais qui a le tort de tenir à son opinion et de rester incorruptible : « Magistrats intègres et de nul intérest, estimés dans la compagnie ; s’opposent presque toujours aux volontés de la cour ; gens de bien et que la cour ne change pas ; nullement touchés du profit et des richesses, peu faciles aux affaires publiques. » Ceux que « la cour change » et qu’une pension convertit, un trait