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suffit pour les caractériser : « Bon serviteur du roy ; affectionné aux intérêts de Sa Majesté ; magistrat aymé de la cour ; » mais ces rares amis sont comme noyés dans les opposans de la majorité. Partout l’agent ne voit qu’esprits « hargneux, chagrins, opiniastres et bizarres, censeurs du pouvoir, lui rompant en visière ; » voilà de quelles sombres couleurs il peint en 1662 l’assemblée déchue ; il semble surpris de ces mauvaises dispositions et de cette humeur « mélancolique ; » c’est un satisfait qui reproche aux battus de n’être pas contens.

Revenons aux jours de lutte déclarée et de hardies espérances, à ce même parlement, de dix années plus jeune, qui tenait en échec ce même despotisme et balançait la fortune. Adversaire d’un gouvernement d’intrigue et de mystère, il donnait à la France le spectacle nouveau d’un régime de libre discussion où les plus graves intérêts de l’état se débattaient publiquement, où la parole était l’alliée nécessaire des desseins politiques. On connaît les pamphlétaires et les chroniqueurs de la fronde ; on connaît moins les orateurs ou les tribuns qu’elle a inspirés : achevons de les remettre en lumière et développons, d’après nos journaux manuscrits, la série de ces « harangueurs » oubliés qui ont partagé pendant quatre ans la popularité du conseiller Broussel et sa longue disgrâce dans l’histoire.


I

De 1648 à 1653, l’orateur qui, après Broussel, avait le plus d’autorité sur le peuple et sur le parlement, celui de tous les chefs des deux frondes qui, au Palais, à l’Hôtel-de-Ville, dans les conseils du parti, prodiguait le plus libéralement les ressources d’une parole vive et facile, c’était un prince, un fils de France, Gaston d’Orléans.

Ce prince, que ses adversaires victorieux et ses anciens amis, aigris par leurs déceptions, ont à l’envi maltraité, nous paraît supérieur à l’équivoque réputation qu’on lui a faite. Il avait l’âme généreuse ; son caractère, taxé d’irrésolution, était loyal et bienveillant ; adoré des Parisiens, que son affabilité séduisait, sincèrement attaché aux libertés traditionnelles de la monarchie, il avait retenu pour son apanage toute une partie aimable et très française de l’héritage d’Henri IV. En pleine guerre civile, il s’était chargé du rôle ingrat de conciliateur, qu’il soutenait du prestige de son nom et de son talent ; lorsqu’on observe de près, surtout dans ses