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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/377

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forteresse le plus populaire des conseillers, Broussel. A la fin de la guerre, quand la défaite parut certaine, quelqu’un regretta tout haut qu’on eût écarté l’idée primitive : « Il se fit un grand tumulte, dit le Journal manuscrit ; chacun se reprochait de n’avoir pas voté cette destruction dès le commencement des troubles. » Sage, mais tardif regret ! La fronde, en expirant, semblait léguer aux insurrections futures sa pensée et son repentir ; c’est le trait d’union entre 1648 et 1789.


II

Franchissons ce règne de soixante années, dont l’accablante grandeur sépare les derniers mouvemens de la liberté du XVIIe siècle et les premières audaces du siècle suivant. Vers 1730, lorsque l’ivresse de la régence s’est dissipée, et qu’au sortir de la confuse réaction, provoquée par une longue servitude, l’état vrai de la nation nous apparaît, un fait important frappe nos regards et nous indique l’esprit des temps qui vont s’ouvrir : nous constatons l’existence d’une double opposition, formée de la ligue des croyances persécutées et des libertés parlementaires rétablies de la veille, mais déjà mises en péril. L’opinion janséniste, à cette date, est maîtresse de Paris, comme la fronde l’était en 1648 ; si elle ne dresse pas de barricades, elle soulève au fond des cœurs une révolte invincible à la force. Ses points d’appui et de résistance organisée, ses foyers d’activé propagande sont partout ; elle a sa presse clandestine, ses pamphlétaires sacrés ou séculiers, ses apôtres en chaire et ses tribuns au parlement ; son influence rayonne et s’étend sur toutes les classes du tiers-état et gagne jusqu’au peuple : la rumeur de ses récriminations et de ses colères agite les églises, les collèges, les couvens, les mansardes et les salons, les tribunaux, les cafés et les boutiques. Cette fronde mondaine et dévote, fusion de deux esprits réfractaires, dont l’un est nourri dans le cloître et l’autre Vieilli dans le greffe, cette insurrection, dirigée contre Rome et contre Versailles, rallie à son mot d’ordre les insoumis du dogme et les mécontens de la politique ; elle déploie un drapeau sur lequel est inscrite une devise de combat : « La nation assemblée est au-dessus des rois, comme l’église, en concile universel, est au-dessus du pape. » Ainsi se crée et se prépare, sous l’action mixte du jansénisme1 et du parlement, le milieu révolutionnaire, l’atmosphère inflammatoire où la philosophie, un peu plus tard, se propagera avec la rapidité d’un incendie ; ainsi s’allument des passions qui ne