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Les Romains n’avaient ni la supériorité d’armement militaire qui nous permet de prévenir toute velléité de résistance de la part des indigènes algériens, ni la vapeur, ni les chemins de fer, ni l’électricité qui, supprimant les distances, mettent nos colonies les plus lointaines aux portes de la mère patrie, ni la sonde artésienne faisant jaillir les eaux des couches les plus profondes du sol, ni tant d’autres procédés industriels qui nous permettent de plier à nos lois les forces naturelles et d’en décupler les produits. Leurs établissemens coloniaux devaient forcément se suffire par eux-mêmes et vivre de leurs propres ressources. Les populations qui les habitaient devaient y naître et y mourir. Elles n’avaient pas cette facilité que nous donnent nos voies de communication modernes de se déplacer à volonté, de ne chercher au besoin dans une région étrangère qu’un lieu de station passagère que l’on habite ou que l’on quitte suivant les agrémens variables des saisons. Fiers de tant d’avantages, nous devrions espérer un succès plus complet que celui de nos devanciers, et cependant nous ne saurions nous dissimuler l’infériorité des résultats que nous avons obtenus. Tandis qu’ils avaient su couvrir d’habitations et parfois de villes florissantes ces contrées désolées, depuis plus de trente ans que, franchissant les plateaux du Tell, nous avons étendu notre domination sur les vallées et les versans sahariens, nous n’avons pu y créer que de chétifs établissemens ressemblant plutôt à des campemens militaires qu’à des cités naissantes, et les indigènes, s’ils ont appris à redouter nos forces, n’ont vu s’améliorer en rien les conditions matérielles ou morales de leur état social.

Cet échec relatif ne peut s’expliquer que par la différence des procédés de colonisation mis en œuvre des deux parts.

En étendant sans cesse, sa domination sur des contrées nouvelles, Rome comptait moins sur elle-même que sur les peuples conquis pour régénérer ou mettre en valeur le sol qu’elle annexait à son empire. Elle songeait moins à exterminer ou humilier les indigènes qu’à les relever à leurs propres yeux, à les amener de gré ou de force à partager les bienfaits d’une civilisation supérieure, à devenir les citoyens de sa république universelle, se rattachant peu à peu à la patrie commune par une communauté de mœurs, de lois, de religion, d’habitudes sociales de toute sorte. C’est en latinisant les peuples vaincus plutôt qu’en voulant se substituer à eux pour l’exploitation directe du sol, que les Romains ont su, avec les ressources matérielles si bornées dont ils disposaient, jeter les bases de cette grande nationalité qui avait fini par étendre sa complète homogénéité sur la totalité du monde connu.

Imbus d’autres idées ou plutôt dépourvus de tout système