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réfléchi, nous ayons opéré au hasard ; et si nous voulions analyser nos procédés de colonisation, nous ne tarderions pas à reconnaître qu’ils se ressentent bien plus des pratiques des peuples barbares du moyen âge que des généreux souvenirs de la colonisation romaine.

Tenant à l’écart les indigènes, les parquant à tout jamais dans un dégradant isolement sous prétexte de respecter leurs droits nationaux, nous ne leur laissons d’autre perspective que de végéter obscurément à côté de nous, à l’état de caste distincte, dans des conditions d’infériorité se rapprochant plus du servage féodal que de l’égalité sociale du citoyen romain.

Deux peuples différens ne sauraient pourtant se perpétuer indéfiniment côté à côte sur un même sol à l’état de nationalités séparées. Un tel état social ne se retrouve que dans les pays d’ordinaire soumis à la domination musulmane, et l’on voit quels en ont été les résultats, après une occupation qui depuis plus de quatre siècles pèse sur les plus belles contrées du monde. Pour que la civilisation puisse prendre tout son essor et acquérir son développement normal, il faut qu’une entière fusion s’établisse entre les divers élémens de population. Cette fusion ne peut résulter que d’un écrasement complet du peuple vaincu oubliant dans un obscur servage tout souvenir, toute tradition de sa nationalité première, ou d’une lente et graduelle assimilation résultant d’une communauté d’intérêts et de tendance, réglée par la loi civile, donnant à tous les mêmes droits et le même but.

Le premier procédé, renouvelé de la barbarie des temps féodaux, répugne trop à la délicatesse de nos mœurs et de nos habitudes sociales pour que nous puissions sérieusement l’accepter en principe, en faire la base d’un système définitif de colonisation. Nous devons donc le proscrire entièrement pour nous rattacher au second ; car entre les deux principes il ne saurait y avoir de moyen terme possible.

Nous avons soumis l’Algérie par nos armes. La conquête matérielle est terminée. Il est temps de songer à la conquête morale du pays. — En nos mains il doit devenir terre française en entier, exclusivement peuplée de Français ; et comme nous ne saurions songer à y pourvoir complètement par des Français d’origine, nous ne devons avoir d’autre objectif que d’y suppléer en francisant au plus tôt les indigènes. La tâche peut être difficile, moins qu’on ne le suppose probablement. En tout cas, elle s’impose à nous et ce n’est qu’après l’avoir remplie que nous pourrons nous glorifier d’avoir sérieusement accompli notre mission civilisatrice.


A. DUPONCHEL.