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Le même chef de fabrique demandera le libre échange pour des filés ou pour des produits à un certain degré de préparation, qu’il qualifiera de matière première, en même temps qu’il exigera la protection pour des tissus ou d’autres produits amenés totalement ou partiellement à un état de fabrication plus ou moins complète. Chacun réclame à grands cris la libre introduction de ce qu’il appelle les matières premières, réclamation embarrassante, car ce qui est matière première pour les uns est matière de seconde ou troisième main pour les autres. Ces contradictions intestines de l’industrie sont un détail et une difficulté secondaires utiles à signaler. Mais la grosse question, c’est l’opposition entre les intérêts agricoles et industriels, urbains et ruraux. C’est ici que les prétentions du commerce et de l’industrie deviennent manifestement injustes. En dehors de récentes alliances fort honorables, les protecteurs officiels ou bénévoles de la main-d’œuvre industrielle veulent au fond maintenir le libre échange alimentaire en même temps que la protection de l’industrie : voilà la vérité. Ce double avantage, l’industrie française l’a obtenu depuis les traités de 1860, et l’agriculture a pu supporter ce lourd fardeau sans succomber, grâce à ses efforts et à d’heureuses circonstances. Aujourd’hui il n’en est plus de même ; deux faits graves sont intervenus : la nouvelle concurrence agricole américaine, qui est irrésistible, et le phylloxéra qui brise le plus beau fleuron de la production et de l’exportation des produits de notre sol. Ce coup double a fait fléchir notre agriculture nationale, qui avait bravement combattu à découvert depuis 1860 jusqu’à ce jour, mais qui ne peut plus lutter sans compensation ou sans abri défensif contre des forces rivales d’une écrasante supériorité, et contre un fléau jusqu’ici sans remède.

Ce court aperçu des contradictions naturelles ou voulues des intérêts aussi justifiés qu’opposés, aussi respectables qu’incompatibles de la France dans sa riche diversité, ne dissimule rien des difficultés de la question à régler.

Reconnaissons que le gouvernement, si laïque qu’il soit, se trouve pour ainsi dire à la place du saint patron invoqué par le paysan qui demande avec une égale conviction qu’il pleuve sur son champ d’avoine et qu’en même temps le soleil mise sur son champ de blé.

Une chose est certaine, c’est qu’autant la situation et les intérêts dominans de l’Angleterre et des États-Unis sont nets et précis, autant tes intérêts de la France sont varies, confus et se balancent dans une contradiction universelle difficile à équilibrer.

Le libre échange s’impose aux Anglais, les Américains ne paraissent pas avoir à regretter d’être protectionnistes, donc, par analogie comme par nécessité, les Français sont forcés d’accepter,