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Il ne fut question ni de masquer l’accouchée, ni de bander les yeux de l’accoucheur, et les choses se passèrent aussi correctement qu’il se peut dans l’irrégularité. M. Lair le fait expressément remarquer, parce qu’en effet quelques historiens ont suivi la légende et la suivraient encore au besoin. Cet enfant ne vécut pas longtemps. La mère qui sentait, depuis son départ de la cour, une curiosité malveillante fixée sur elle, eut le courage d’assister, le 24 décembre, aux Quinze-Vingts, à la messe de minuit.

Elle eut alors un moment de répit, et l’année 1664 vint marquer le plus haut point de sa faveur. A vrai dire, l’automne de 1661 et le printemps de 1664 sont les seuls points lumineux qu’on aperçoive dans l’histoire de ces tristes amours. Ce fut bien à La Vallière que Louis XIV fit hommage de ces « fêtes galantes et magnifiques de Versailles, » — mai 1664, — où Molière, en sa Princesse d’Elide, crut pouvoir publiquement célébrer, mieux que cela, justifier les amours du maître :

Je dirai que l’amour sied bien à vos pareils,
Que ce tribut qu’on rend aux traits d’un beau visage
De la beauté d’une âme est un clair témoignage
Et qu’il est malaisé que, sans être amoureux,
Un jeune prince soit et grand et généreux.


Après tout, j’aime mieux voir Molière flatter ainsi la modeste La Vallière que de croire, puisqu’aussi bien les dates nous autorisent à ne pas le croire, qu’il ait écrit son Amphitryon par une dérision, qui serait trop cruelle, du marquis de Montespan. Il ne faut pas, en général, s’effaroucher de ces flatteries qui sont chez nos écrivains du XVIIe siècle ce que sont les clauses de style dans un acte authentique, ou nos formules de politesse au bas d’une lettre privée. Seulement, quand les formules tournent à la flatterie sous la plume d’un Molière ou d’un La Fontaine, on aimerait mieux qu’ils les eussent bien adressées, et plutôt à Mlle de La Vallière qu’à Mme de Montespan. En tout cas, ces flatteries de la Princesse d’Élide, c’était un signe que Louis XIV s’enhardissait et qu’il commençait à se sentir assez fort pour sortir des limites où le respect des reines, et de sa mère particulièrement, l’avait jusqu’alors contenu. C’est au mois d’octobre 1664 qu’un soir, à Vincennes, il imposa la présence de sa maîtresse à sa mère. Marie-Thérèse, plus profondément atteinte encore qu’Anne d’Autriche par cette insulte, en tomba dangereusement malade d’indignation et de jalousie. Sur ces entrefaites, une nouvelle grossesse obligeait de nouveau La Vallière de retourner à l’hôtel Brion. Le 7 janvier 1665, elle y accouchait d’un second fils. Celui-ci fut baptisé dans l’église Saint-Eustache sous le nom de Philippe, fils de François Derssy et de Marguerite Bernard. Il est utile de donner ces détails. Ils prouvent que Louis XIV ne s’accoutuma que lentement à l’idée de ces