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légitimations monstrueuses, dont il devait, quelques années plus tard, donner publiquement le scandale.

Les ennemis de La Vallière, cependant, ne se relâchaient pas de leur haine. Elle était encore dans son pavillon, relevant à peine de ses couches, quand, par une nuit de février ou mars 1665, elle faillit être la victime d’une tentative d’enlèvement ou d’assassinat. Aussi longtemps que le fait n’était attesté que par des libelles où le peu de vérité qui se rencontre est lui-même discrédité par les mensonges qui l’entourent, on pouvait et même on devait le révoquer en doute. Mais depuis qu’en 1866 M. François Ravaisson, dans ses Archives de la Bastille a publié quelques-unes des dépêches de l’ambassadeur Sagredo au doge de Venise, le doute est devenu difficile. « On s’entretient tout bas, dit une dépêche du 20 mars 1665, de l’audace de gens inconnus qui ont essayé, mais inutilement, d’escalader le Palais-Royal et de s’introduire témérairement dans les appartenions de la favorite. » Et par contre-coup, sur l’autorité de l’ambassadeur vénitien, garant authentique du fait, il est permis de croire que les libelles n’inventent rien quand ils ajoutent qu’à dater de ce jour le roi « donna des gardes » à La Vallière. Inventent-ils même quand ils prétendent que, vers le même temps, Louis XIV aurait placé près d’elle un maître d’hôtel « pour goûter tout ce qu’elle mangerait ? » Si l’on reconnaît du moins, avec M. Lair, dans cet attentat nocturne la main d’Olympe Mancini, toujours acharnée contre La Vallière, et depuis, si gravement compromise dans la ténébreuse affaire des poisons, on avouera que la précaution n’était pas inutile contre la vindicative Italienne. Ce qu’il faut dire cependant, c’est qu’à la date où nous sommes, la terreur du poison ne commençait qu’à peine à se répandre. L’imagination publique n’avait pas encore été frappée. Ni Madame Henriette n’était encore morte, ni le procès de la Brinvilliers n’avait encore éclaté. La Canidie du XVIIe siècle, Catherine Monvoisin, dite la Voisin, distillatrice de crapauds et vendeuse de poudres d’amour, n’était encore connue que de ses clientes. La comtesse de Soissons avait été l’une des premières : joignons-y quelques intrigantes, — Mlle du Fouilloux, Mlle d’Artigny, Mlle de Montalais, — qui toutes trois ayant été de la confidence de La Vallière, se dépitaient de n’en être plus, et passons : c’est le moment maintenant de faire entrer en scène la marquise de Montespan.

Ce que l’on ne pardonnait pas à La Vallière, c’était d’occuper une place dont elle ne tirait profit ni pour elle, ni pour les siens, ni pour personne. Disons les choses comme elles sont, et comme aussi bien tant de témoignages nous autorisent à les qualifier, La Vallière gâtait le métier. Cependant il y avait à la cour tout un escadron de jeunes filles ou de jeunes femmes dont chacune se sentait en état de jouer le rôle de maîtresse du roi, comme il doit être joué, c’est-à-dire fastueusement, hardiment,