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du pont de la Concorde ; j’étais avec Gustave Flaubert et Louia Bouilhet ; nous nous arrêtâmes pour causer des événemens qui Tenaient de se succéder avec une si extraordinaire rapidité. Louis nous racontait que le roi avait quitté Paris, que la république étais proclamée et qu’un gouvernement provisoire, qui s’était nommé lui-même, se réunissait à l’Hôtel de Ville. Tout à coup il s’interrompit en me montrant le parapet contre lequel nous étions accolés, la rivière qui roulait ses eaux jaunâtres, il me dit : « Et dire que c’est là ! » Nous ne pûmes nous empêcher de rire, et cependant nous étions profondément troublés de cette révolution imprévue qui remettait en question les destinées de la France.

Les fées, les génies, les infortunes du petit Savinien, les cosaques et le charcutier suffisaient à occuper nos loisirs, et noue ne demandions rien de plus, lorsque M. de Cormenin estima qu’il était temps de nous donner quelques notions d’instruction élémentaire, M. de Cormenin, qui n’était encore que maître des requêtes au conseil d’état, mais qui déjà préparait sa candidature pour les élections législatives de 1828, était un philanthrope à sa manière. Il avait ramené du Loiret, où il possédait des terres et le château de Lamotte, une sorte de magister, paysan à peine dégrossi, qui s’appelait Têtedoux et lui servait de secrétaire, c’est-à-dire de copiste. Ce fut sous la direction de ce brave homme que nous fûmes placés deux heures par jour afin d’apprendre un peu de grammaire, un peu de géographie, un peu d’arithmétique, un peu d’histoire sainte, bien peu de tout cela à la fois, et avec une réserve telle que, par une interprétation hardie, on nous enseigna que la femme de Putiphar était mal disposée en faveur de Joseph, parce que celui-ci avait refusé de lui donner un agneau d’une espèce rare qu’il possédait et dont elle avait envie. M. Têtedoux était plus respectueux qu’il n’eût convenu avec des bambins de cinq ans ; il ne nous parlait qu’à la troisième personne, était d’une douceur extrême et d’une ignorance prodigieuse. Lorsqu’il nous eut expliqué à sa façon les premiers élémens de la grammaire, il nous dit avec une certaine solennité : « L’heure est venue de faire connaître à ces messieurs une règle importante, une règle que je qualifierai de rare et qui est la règle de la pénultième. » Le mot était nouveau, et nous ouvrîmes nos oreilles bien grandes pour écouter la leçon que voici : « Lorsque un mot terminé par deux consonnes est suivi d’un mot commençant par une voyelle, la Liaison euphonique se fait non pas avec la dernière consonne, ; mais avec l’avant-dernière, c’est-à-dire avec la pénultième ; ainsi quelqu’un qui connaît les usages du monde et qui a approfondi les difficultés de la langue française, ne doit jamais se permettre de dire : — Ce n’est point-t-à vous ; — il faut qu’il dise : Ce n’est