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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/575

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Gustave-Adolphe n’était qu’une bourrasque couvrant de vagues passagères la mer profonde de l’obéissance germanique ?

Nous l’avons montré peu confiant dans son allié et toujours disposé à marchander ses secours. Richelieu voulait inquiéter l’empire, mais non préparer sa ruine ; il espérait pouvoir donner les possessions italiennes de la maison d’Autriche à des princes italiens : en Allemagne, sa diplomatie tendait uniquement à établir autour de la France un rempart d’alliances, d’amitiés, de neutralités ; il ne pouvait pas travailler à mettre les provinces catholiques sous les pieds d’un prince protestant. Les historiens lui savent gré d’avoir, prince de l’église et ministre d’une puissance catholique, su chercher des alliances protestantes ; en fait, il ne vit jamais dans les Suédois que les alliés d’une heure. Richelieu comptait bien abandonner Gustave-Adolphe après s’être servi de lui pour s’avancer dans les électorats et en Alsace. « Le joug de l’empire étoit alors si lourd dans toute l’Europe » qu’après la mort de Gustave-Adolphe « le pape, ayant cette nouvelle, alla en l’église nationale des Allemands dire une messe basse. » (Mémoires de Richelieu.) Le roi du Nord, — qu’on appelait quelquefois, à cause de la couleur de ses cheveux, le roi d’or, — parut un moment comme un soleil à Francfort ; puis l’Allemagne retomba dans la nuit. L’histoire ne marche pas en ligne droite, elle procède plutôt par de grands mouvemens giratoires qui la ramènent de temps en temps au même point. Que d’événemens étaient encore nécessaires, que d’invasions, de guerres et d’incursions pour tirer le corps germanique de sa torpeur séculaire ! Richelieu chercha seulement à profiter des fautes que l’empire avait commises en Allemagne ; il travailla à briser la verge sanglante qui flagellait les peuples. C’est surtout, il faut le dire, après la mort de Gustave-Adolphe que la politique du cardinal devint féconde : il semble qu’il ait vu dans cet événement comme un avertissement ; la fortune, en lui enlevant un instrument qui avait été regardé comme presque miraculeux, l’obligea à compter davantage sur ses propres ressources. La mission de Feuquières vers la reine de Suède et vers Oxenstierna fut suivie de résultats surprenans ; elle inaugura avec le concert des petites puissances le grand et bienfaisant patronage de la France qui devait plus tard trouver son expression dans le traité de Westphalie, l’instrument diplomatique qui a été si longtemps la base du droit public européen et qui mit fin pour si longtemps à la domination exclusive d’une maison souveraine sur tous les princes et sur tous les peuples.


AUGUSTE LAUGEL.