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que la bataille devenait plus sanglante et plus acharnée. Aussi fut-il sincèrement pleuré de son armée, car chaque soldat aimait en lui un soldat ; il fut encore pleuré des chefs du parti protestant. Il avait été considéré par ces derniers comme un envoyé de Dieu. Le duc de Rohan, qui était en exil volontaire en Italie, avait bien jugé de loin l’entreprise du roi de Suède. « Le roy de Suède, écrivait-il le 31 août 1631 à sa mère, Catherine de Parthenay, fait toujours très bien et avance ses progrès, mais les Allemands ne le regardent guère, car ils n’ont encore rien fait qui vaille, et mesme quelques-uns commensent à se dédire de ce qu’ils avoient promis à l’assemblée de Lepxig, entr’autres le duc de Virtemberg et la ville d’Ulm qui se sont mis en l’obéissance de l’empereur. Ces gens-là n’ont pas plus de fidélité ni de courage que ceux qui nous ont trompés ; il est bien à craindre qu’ils ne se perdent. » Le 5 septembre 1631, après le sac de Magdebourg, Rohan écrit à sa mère que cet événement « a donné une grande terreur à plusieurs villes et princes d’Allemagne dont s’en est suivie la défection de l’administrateur de Virtemberg et des villes de Ulm et de Noremberg ; néansmoins les nouveaux progrès du roy de Suède ont rafermiz le reste, et s’il n’eust soupçonné Saxe et Brandebourg, il eut conquis toute la Silésie et partie de la Bohême ; mays il a été contraint de retourner de ce costé-là pour s’asseurer d’eux ; il s’est tout à fait asseuré du marquis de Brandebourg et de son pays, mays pour celluy de Saxe ny luy ny l’empereur ne l’osent trop presser de peur qu’il ne se déclare contre celuy qui le pressera trop et comme cela demeure sans faire autre chose que bien boire pour être la proie du vainqueur ; tous les conseillers de ces princes, et plusieurs des principaux des bonnes villes sont corrompus par l’empereur, tellement qu’il faut par force et malgré qu’ils en ayent leur procurer la liberté ; cela me fait ressouvenir des défuntes affaires de France[1]. »

Rohan voyait fort clair aux affaires d’Allemagne ; après la mort du roi de Suède, il avait fait passer à Richelieu un mémoire sur ces affaires. Le cardinal en savait tout le détail : il n’en était détourné ni par le soin des affaires d’Italie, ni par ses luttes incessantes contre ses ennemis de l’intérieur, ni par la guerre contre les protestans. Sa politique était encore un peu hésitante. Pouvait-il deviner que la mort arrêterait si vite le roi de Suède au milieu de ses victoires ? Devinait-il que les effets de l’invasion des Suédois en Allemagne ne seraient pas très durables ? que la marche de

  1. Ces extraits sont tirés d’une correspondance inédite, que je dois avec beaucoup de documens et d’indications précieuses sur Rohan, à la généreuse libéralité de M. de Loménie.