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malgré tout, la concurrence américaine exerce une très puissante influence sur le travail et sur les intérêts agricoles en Europe. Ceux qui y gagnent se réjouissent, ceux qui y perdent le déplorent ; il n’y a rien là que de fort naturel. La concurrence en soi est-elle un mal ? Non certes ; mais il est des momens où, dépassant la mesure, elle accable les uns, et alors c’est le devoir des autres d’adoucir autant que possible les épreuves des victimes.

Chercher à se préserver des inondations n’est pas vouloir tarir les rivières, ni même empêcher les utiles irrigations. L’on ne saurait admettre que, si l’on réclamait quelque protection agricole sous une forme ou sous une autre, « il ne nous resterait plus d’autre parti à prendre que de retourner en arrière, en coupant les routes, en brisant les voies ferrées, en comblant les canaux, en ensablant les ports, en brûlant les vaisseaux. »

Mais est-ce que les Américains ont marché en arrière ? Quoique protectionnistes à outrance, n’ont-ils pas fait les plus grands chemins de fer du globe, canalisé le Mississipi, creusé le canal de l’Erié, et bien d’autres, créé de grands ports et construit d’innombrables vaisseaux ? L’Angleterre n’a-t-elle pas, sous le régime de la protection, jusqu’en 1847, mené à bien de magnifiques travaux et promené sur toutes les mers de brillantes flottes marchandes et militaires ? La France protectionniste n’a-t-elle pas couvert son sol de splendides travaux d’art et entrepris un vaste réseau de voies ferrées ?

Quoique volontairement soumis à la gêne du régime protecteur, les Américains, loin de se montrer rétrogrades, font de rapides progrès qui donnent à réfléchir. C’est ce que reconnaît M. Leng, publiciste anglais distingué, quia parcouru l’Amérique et les Canada, lorsqu’il constate le chiffre toujours croissant des importations de céréales américaines[1].

Les États-Unis ont fourni, en 1880, les deux tiers des blés introduits en Angleterre, dont les importations générales en grains et farines de toute espèce sont évaluées à plus de 1 milliard 1/2 de francs. Dans la même année 1880, les importations en Angleterre de bétail américain vivant ont représenté en valeur plus de 250 millions de francs, les viandes abattues plus de 400 millions de francs, sans compter l’importation de beurres, de fromages et de pommes de terre. Ces chiffres sont-ils exacts ? Nous n’avons aucune raison d’en douter. Mais, d’après M. Leng, les onze mille deux cent trente-quatre têtes de bétail importées pendant l’année ne correspondent qu’à la nourriture de quatre jours pour les trente-quatre millions d’habitans de la Grande-Bretagne. Évidemment, ici apparaît quelque

  1. Conférence Leng (Journal d’agriculture pratique, 17 mars 1881).