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erreur matérielle et fortuite, car M. Dubost, qui est optimiste, donne le chiffre de cent soixante-dix mille têtes de bétail importées ; nombre quinze fois plus fort, qui constitue la consommation de plus de soixante jours ou de deux mois pour l’Angleterre. En outre, l’importation des animaux vivans d’Amérique est ralentie par une protection indirecte qu’exercent rigoureusement les Anglais en exigeant, par crainte d’épizooties, que les bêtes soient abattues à leur arrivée au lieu de débarquement. Les viandes de cette provenance ne peuvent donc être consommées que dans le rayon rapidement desservi par les chemins de fer.

M. Leng pense que les importations américaines ne s’arrêteront pas devant le retour de moissons abondantes en Europe ; il ne croit pas non plus que le bon marché des transports des blés et des animaux ait dit son dernier mot. Il faut donc cesser de railler nos préoccupations transatlantiques et ne pas nous accuser de pusillanimité ; la preuve que l’exportation alimentaire des États-Unis n’est pas un spectre, c’est qu’elle nous a rendu un signalé service. Tout en déplorant les pertes que la concurrence américaine nous inflige, nous ne pouvons nous empêcher de rappeler que c’est grâce aux blés des États-Unis que nous avons évité une disette que de mauvaises récoltes simultanées dans toute l’Europe nous eussent infailliblement amenée sans cet onéreux et précieux secours. Nos adversaires le reconnaissent comme nous et célèbrent très haut ce bienfait. De sorte que, d’après eux, l’importation est une réalité quand elle fait du bien aux consommateurs et aux industriels ; mais ce n’est qu’un vain spectre quand elle fait du tort aux producteurs agricoles. Il faudrait pourtant opter entre l’une ou l’autre appréciation. Nous avons payé 750 millions le service rendu par les États-Unis, c’est cher ; cela valait mieux que de mourir de faim. Mais un spectre qui nourrit tout un pays ressemble fort à une réalité incontestable. Et en résumé cette longue crise alimentaire a passé presque inaperçue pour tout le monde en France, si ce n’est pour l’agriculture. C’est donc le moment de lui venir en aide ; mais comment ? Voilà le problème à résoudre.

Le coup porté à la propriété et à l’agriculture est encore bien plus sensible en Angleterre que chez nous. M. Barclay, membre du parlement pour l’Ecosse, se montre fort alarmiste dans son mémoire sur les souffrances agricoles en Angleterre, qui sont devenues un sujet de vives préoccupations nationales[1].

De même, le rapport des dieux délégués anglais envoyés aux États-Unis par la commission d’enquêtes agricoles, MM. Clare Read et Albert Pell, tous deux membres de la chambre des communes,

  1. Journal d’agriculture pratique, 30 décembre 1880, page 922.