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propriétaire qu’il est urgent d’organiser le crédit agricole mobilier, dont une commission s’occupe activement aujourd’hui, et non pour le propriétaire qui loue ses terres et auquel le crédit foncier est plus ou moins utilement destiné.

Car, bien que toutes les terres ne se prêtent pas à la culture intensive à gros capitaux, il est notoire que le capital d’exploitation du sol est très insuffisant en France.

M. Caird évalue pour l’Angleterre, non pas la valeur des terres, c’est-à-dire ce capital primitif qui résulte de l’appropriation du sol, mais l’accumulation des capitaux immobilisés sous forme de bâtimens, clôtures, chemins, drainages, etc., à 50 milliards de francs donnant au denier 30 un revenu annuel de 1 milliard 679 millions de francs[1]. M. Leng évalue à 16 milliards 1/2 la somme de capital roulant d’exploitation engagé dans l’agriculture anglaise[2].

Pour l’étendue de la France entière il faudrait au moins la même somme, soit 50 milliards d’une part et 16 de l’autre ; où les trouver ?

C’est en face de semblables chiffres qu’on parle sérieusement de faire changer de mains à la propriété ! S’agirait-il de confiscation générale ? Assurément non ; qui voudrait en France en entendre parler ? D’ailleurs, comme le dit fort bien M. de Thou, « donnez le soi au cultivateur européen ; il sera plus riche, mais vendra ses denrées très probablement au même prix[3]. »

Citons aussi Ricardo, sous toutes réserves de sa théorie sur la rente : « Le blé, dit-il, ne renchérit pas, parce qu’on paie une rente ; et l’on a remarqué avec raison que le blé ne baisserait pas lors même que les propriétaires feraient l’entier abandon de leurs rentes. Cela n’aurait d’autre effet que de mettre quelques fermiers dans le cas de vivre en seigneurs, mais ne diminuerait nullement la quantité de travail nécessaire pour faire venir des produits bruts sur les terrains cultivés les moins productifs[4]. »

Ce n’est pas la propriété foncière qu’il faut songer à déplacer, ce sont les capitaux mobiliers, dont une bonne part devrait être consacrée aux améliorations agricoles, car c’est par le progrès cultural dispendieux que peut être surtout soutenue la lutte internationale agricole.

Tout en défendant le fermage, on ne saurait prétendre que cette combinaison n’est pas susceptible de perfectionnemens importans, parmi lesquels on doit citer les baux à long terme, les baux avec remboursement obligatoire des améliorations au fermier sortant ; les clauses préconisées par lord Kames en Angleterre, et des

  1. Journal d’agriculture pratique, 26 mars 1881.
  2. Ibid., 17 mars 1881.
  3. Ibid., 26 mars 1881.
  4. Baudrillart, Manuel d’économie politique, page 390.