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partie des terres un peu sèches de la France, la culture des céréales, s’impose dans un assolement régulier.

Il y aurait encore infiniment d’autres considérations du même genre, à ajouter et d’autres détails à discuter, mais cela rentrerait dans les discussions techniques, qui ne sont pas de mise ici, et qui peuvent seuls traiter des spécialistes.

Ce qui précède suffit à démontrer que l’agriculture et la propriété foncière de la France sont gravement menacées et compromises ; si l’on ne vient pas efficacement à leur aide. Or l’agriculture étant la plus vaste opération de la France, celle qui occupe le plus grand nombre de bras, les vingt-deux millions de producteurs agricoles constituant après tout le premier marché de placement des produits industriels indigènes, il s’ensuit que l’agriculture ne peut pas être ruinée un beau dimanche sans que la France entière soit ruinée aussi le dimanche d’après, l’industrie et les manufactures avec le reste. Le pays doit donc savoir qu’il se trouve menacé d’une baisse universelle et considérable.[1].

Pourra-t-on conjurer complètement la crise et éviter une déprédation générale quelconque ? Nous ne le croyons pas. Les chemins de fer et les bateaux à vapeur, qui nous ont si largement et si rapidement enrichis depuis quarante ans, se retournent aujourd’hui contre nous, et sont à nos dépens les instrumens d’une concurrence écrasante et sans réciprocité suffisante. Ne doit-on pas reconnaître que d’ici à longtemps, les probabilités sont que la situation restera la même ou s’aggravera ? Nous sommes à une époque de transition pénible que nous devons nous arranger pour traverser au mieux qu’il sera possible. Heureusement que, dans les jours de prospérité, la France a su opérer de puissantes épargnes et de lucratifs placemens à l’étranger. Mais pour lutter contre les circonstances adverses, il faut employer une portion de ces capitaux en secours judicieux et en immobiliser une partie dans le sol français au nom de la solidarité sociale, économique et supérieure qui existe quand même entre les intérêts divers et opposés d’un grand pays.

Lorsque la récolte est bonne, les agriculteurs se tirent encore à peu près d’affaire, jusqu’ici du moins, mais ce qui les abat, c’est que le prix du blé ne s’élève pas lorsqu’il est rare : bien que la moyenne actuelle des prix soit un peu plus élevée qu’autrefois, la perte est accablante par suite de l’augmentation continue des frais de production. L’intermittence climatologique étant une loi physique, il faudra trouver des compensations ou des moyens détournés pour

  1. Voir l’article peu rassurant de M. Reihach dans le Journal des Débats (novembre 1880). Le récent et remarquable volume de M. Paul Leroy-Beaulieu sur la répartition des richesses n’est pas consolant non plus à cet égard.