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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/598

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que les mauvaises années n’anéantissent pas complètement l’industrie agricole.

Au point de vue théorique et selon le droit légal, l’agriculture semble de tout point autorisée à faire entendre les réclamations les plus formelles. Au point de vue pratique, en face du présent fâcheux et de l’avenir menaçant, que demande l’agriculture, qu’a-t-elle le droit de demander comme compensations ou comme indemnité ?

D’abord elle a le droit d’exiger l’égalité de traitement vis-à-vis de l’industrie, c’est-à-dire un régime commun et non un régime d’exception spéciale. Tout a des limites, et la culture ne peut plus continuer un effort aussi extraordinaire que par le passé, ni supporter la nouvelle baisse qui lui est imposée sans compensation d’aucune sorte.

Les salaires de la main-d’œuvre industrielle ou urbaine se sont élevés avec les bénéfices de l’industrie à un prix tel que l’agriculture ne trouve plus d’ouvriers à un prix abordable ; elle demande le moyen d’élever les salaires qu’elle donne, et non d’abaisser le prix général de la main-d’œuvre.

La rupture de l’équilibre économique agricole est un fait accompli sur tous les points ; il y faut d’urgence apporter un remède efficace et puissant. Il ne s’agit plus ni de palliatifs ni de demi-mesures.

Quelle est du reste la situation comparative des intérêts agricoles vis-à-vis des intérêts industriels ? C’est facile à établir.

Si l’on considère l’impôt foncier comme une patente sur l’agriculture équivalente par ses effets à la patente ordinaire imposée aux commerçans et aux industriels, on trouve qu’avec les centimes additionnels l’impôt foncier est de 356 millions, tandis qu’on ne compte que 159 millions de patentes industrielles et commerciales pour un capital et des profits beaucoup plus considérables que ceux de l’agriculture, qui supporterait de ce chef une charge dix ou quinze fois plus pesante que celle du commerce et de l’industrie[1].

La France exporte tous les ans pour 1,800 millions d’objets manufacturés et en importe pour 500 millions seulement. Cette différence avantageuse de 1,300 millions, à qui profite-t-elle ? Non pas à l’agriculture nationale assurément, qui a vu importer pour 750 millions de francs de blé pendant qu’elle n’exportait presque rien. On sait que le capital des propriétaires fonciers agricoles leur rapporte de 2 à 3 pour 400, pendant que le capital équivalent rapporte sept ou huit fois plus aux industriels et aux commerçans.

L’agriculture a subi des pertes sensibles pendant trois années désastreuses de suite, juste au moment où une concurrence nouvelle surgissait contre elle. Pendant ce temps l’industrie, le

  1. Débats, 8 mars 1881.