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présentes, car l’état actuel ne saurait être considéré comme définitif.

Mais, dira-t-on, comment conclure ? La réponse est trop facile ; le moment des conclusions pratiques est passé, il ne reste qu’à protester ; Tel qu’il est volé, le tarif général des douanes : atteint le double but suivant : tout pour la vie alimentaire à bon marché, tout pour les gros salaires et pour les gros profits des populations urbaines, rien pour les populations agricoles.

Nous allons continuer à voir fonctionner parallèlement deux régimes économiques contradictoires, s’appliquant à deux classes spéciales du pays coupé en deux. D’une part, les agriculteurs livrés à la concurrence étrangère sous le régime de la liberté commerciale, complète et absolue sur certains points, ou dérisoirement sauvegardés par des droits fiscaux de 2 à 3 pour 100 ; de l’autre côté, les industriels protégés par des droits variant de 20 à 40 pour 100.

On invoque sans cesse le droit des majorités, si minimes qu’elles soient ; mais la majorité c’est nous, ruraux, qui la formons comme nombre de producteurs en général et comme nombre de consommateurs de ces produits industriels dont la protection provoque le renchérissement factice.

L’agriculture, qui ne voulait faire de tort à personne, se trouvera donc poussée dans le camp libre-échangiste, puisque désormais elle a tout à perdre sous le régime d’une protection partiale. Mieux vaudrait le libre échange sincère, malgré ses périls, que l’inégalité ruineuse infligée à l’agriculture.

Pour le moment un moyen unique d’indemnité ou de compensation reste encore à lui offrir, c’est un large et prompt dégrèvement dont l’esquisse, fort superficielle, a été tracée dans les pages précédentes. Nous n’avons certes pas la prétention de dicter aux pouvoirs publics une solution précise, et encore moins, celle de rédiger des projets de loi. Notre but a été de résumer la polémique générale sur la question de démontrer qu’aucune théorie scientifique, ni aucun principe de droit ne s’opposent aux justes revendications de l’agriculture ; nous avons essayé de signaler de nombreuses et importantes contradictions, comme de répondre aux divers argumens énoncés ; il ne nous appartient plus que d’exprimer des regrets.

Demeurant dans un rôle correct de témoin intéressé et de critique attentif, nous laissons les responsabilités à qui de droit. La situation reste grave et douloureuse ; il y avait là évidemment un grand devoir de justice et de prévoyance, à remplir ; ce devoir a-t-il été rempli ?


NOAILLES, DUC D’AYEN.