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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/628

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la Divine Comédie. Il en découvrait en nombre infini, mais l’originalité de Dante, vous vous en doutez bien, restait après cette enquête aussi entière que devant.

La comédie de fantaisie fut pour Alfred de Musset comme un pays enchanté où son imagination aimait à chercher un refuge contre les tristesses de la réalité ; il y a mis la partie la plus heureuse de lui-même. Et c’est un pays enchanté en toute exactitude, car de même que les légendes antiques nous entretiennent d’une contrée exclusivement habitée par des Amazones, nous avons ici le pays exclusif de la jeunesse où les autres âges de la vie n’ont point droit d’aborder. Aucun habitant n’y a plus de vingt-cinq ans, la laideur n’y est pas tolérée, tout vestige de vieillesse y a été soigneusement effacé et il y a été pris les mesures de protection les plus minutieuses contre la prosaïque expérience de l’âge mûr. Çà et là quelque barbon ridicule comme le mari de Marianne, quelque bourgeois vulgaire comme le mari de Jacqueline, quelques pédans bouffons comme les précepteurs peu respectables de Camille et de Perdican montrent bien leurs grotesques silhouettes. Mais ces fantoches sont des exceptions qui ont été conservées par les habitans de cet heureux pays pour s’entretenir par le spectacle de leurs ventres pansus, de leurs trognes bulbeuses et de leurs sots discours dans la sainte horreur de tout ce qui choque l’élégance, déplaît à la beauté, ou fait antithèse à l’idée du plaisir, absolument comme on montrait à Sparte des Ilotes ivres pour inspirer aux Lacédémoniens adolescens l’horreur de l’ivrognerie. Octave, Celio, Fantasio, Perdican, Ulric, Fortunio, Valentin, les voyez-vous défiler devant vous es habitans de cet heureux pays avec leur élégance tachée de vin de Chypre, leurs yeux humides de désirs, leurs jolis visages pâlis par les veilles du plaisir, leurs lèvres frémissantes encore des derniers baisers qu’ils ont donnés, d’où s’échappent des voix harmonieuses dont l’amour, principe de toute musique, dirige les inflexions ? Le langage dont ils ne se départent jamais est une éloquence délicieusement imagée, perpétuel sélam des fleurs les plus rares de la poésie ; c’est que leur état d’âme constant est ce doux délire que produit le désir, et que le langage exceptionnel des heures d’ivresse ou d’ardeur devient tout naturellement leur langage le plus courant et le plus ordinaire. Quelquefois des ombres de mélancolie passent sur leurs visages et y éclipsent la lumière du sourire : c’est que, si la sagesse des âges moroses leur est importune, il est au moins une expérience qu’ils ont faite, et qu’ils pourraient parler comme un illustre solitaire de la beauté du péché à commettre et de la laideur du péché commis. Parmi les rêves charmans, mais audacieux, qui les hantent, il en est un surtout qu’ils