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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/638

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toutefois qu’il me plaise complètement. Il nous faut une loi, naturellement, non pas une loi étroite, mais une loi libre. Voyez-vous, a grande difficulté, c’est de concilier la liberté et la loi. Avec la loi de la liberté, le problème est résolu. Voilà ce que voulait dire votre grand homme. Il faut que vous me retrouviez son nom.

« — Je crois que c’était Goethe, dit Pembroke.

« — Goethe ! comme cela lui ressemble, n’est-ce pas ? J’aime tant Goethe ; du moins je l’aimais tant autrefois, car maintenant je ne peux plus le souffrir. C’est-à-dire, vous comprenez, je l’aime comme nous l’aimons tous, mais je ne crois plus en lui. Un esprit conservateur, étroit,.. non, peut-être ne devrais-je pas me servir de ce terme, mais étroit pour lui, en comparaison de ce qu’il aurait dû être. J’ai tout à fait abandonné la philosophie allemande de cette époque. Nous sommes si avances aujourd’hui ! »

Et ainsi, dans son salon, où de « délicieux athées » dont elle ne peut s’empêcher de déplorer les opinions, coudoient de « charmans jeunes hommes » qui ont voulu brûler Paris, Mrs Seagraves se tourmente, pour le plus grand bien de l’avenir, à concilier des antinomies.

Tandis qu’indépendante et riche, elle joue avec des mots qu’elle ne comprend pas, d’autres, passant de la théorie à l’action, essaient de mettre en pratique les idées nouvelles et de reconstruire sur des bases plus solides l’édifice vermoulu de la société. Miss Sybil Jansen ne se contente pas de penser que le moment est venu pour la femme de réclamer ses droits méconnus, elle éprouve le besoin d’agir et de proclamer au monde, du haut de la tribune, le dogme de l’égalité des sexes. Deux ou trois petits journaux de banlieue ont eu le tort de louer son éloquence, aussi creuse que passionnée, et la pauvre fille se croit une mission. Peut-être cette mission changerait-elle de nature si l’un de ses auditeurs voulait bien tourner sur elle des regards plus tendres que ceux de la simple amitié ; car Sybil n’est pas une énergumène : elle a toutes les qualités d’une ménagère ; elle sait préparer le thé avec le soin que réclame cette délicate opération, et dans le triste intérieur où, près d’une mère séparée de son mari, elle abrite ses rêves de transformation sociale et sa pauvreté, rien ne décèlerait son apostolat si l’on n’apercevait sur la table le cahier dans lequel elle a collé les articles, trop enthousiastes pour être sincères, où le Champion de la femme et la Trompette de Putney ont salué sa venue. Ici encore l’ironie de M. Mac-Carthy se tempère d’une pitié communicative. On ne peut s’empêcher de plaindre la jeune et jolie prêtresse qui porte, elle aussi, dans l’âme ce petit signe auquel un poète grec assure qu’il reconnaît les amoureux.