Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’étude bien entendue de l’antique peut le guider. Assurément nous n’entendons pas qu’il faille substituer à une interprétation physiologique de la nature une interprétation qui serait purement ornementale. Il faut chercher la mesure. Disons qu’elle a été trouvée et qu’elle nous a été montrée par les chefs de notre école moderne.

Rude ! voilà par excellence le maître de la sculpture française : on peut aller à lui en toute sûreté. Sans la moindre idée de remonter au passé, il a réuni et condensé dans ses ouvrages les meilleures qualités de ses devanciers. Tout ce que notre art national, depuis la renaissance, a produit de plus sain et de plus puissant est résumé et dépassé par le groupe du Départ. Il y a cinquante ans qu’il est achevé : on ne se lasse pas de l’admirer ; et on peut affirmer que, contrairement à ce qui arrive, même pour beaucoup d’œuvres de génie, il ne vieillira pas. À quoi cela tient-il ? À la vérité supérieure dont il est l’éclatante image. Rude a aimé la nature autant qu’on puisse l’aimer et il l’a connue en savant et en artiste. Il a eu, pour s’en rendre maître, des procédés d’une sûreté mathématique dont on pouvait s’étonner, mais qui montraient bien qu’il voyait plusieurs choses dans son modèle ; le modèle lui-même, son sujet, et son art. Aussi, la facilité même avec laquelle il dominait la forme montre-t-elle qu’il réservait tout, son effort pour l’expression. Sans archéologie, sans préoccupations anatomiques, il portait le style le plus fort et le plus simple dans tout ce qui sortait de ses mains. Ce style se pliait à toutes les applications : au bronze comme dans le Mercure et dans la statue de Louis XIII, au marbre comme dans le délicieux Pêcheur. A l’arc de triomphe de l’Étoile, c’est à la pierre qu’il a parlé et il lui a donné une voix. En tout il restait fidèle à lui-même. Lorsqu’il dut exécuter les ailes de la figure de la Liberté, qui domine et entraîne tout le groupe du Départ, il ne voulut se référer à aucune tradition décorative. Il prit les ailes d’un condor et il en reproduisit le type avec fidélité. Mais en les copiant il se demandait toujours si c’était assez pour porter son allégorie ; et instinctivement il agrandissait les formes pour les assortir à l’immense monument de pierre, pour les mettre d’accord avec l’image intérieure qui gonflait son cœur. Mais l’effet de ces ailes de proie est immense. Il semble en effet que leur battement se mêle au bruit des armes et au chant des héros et qu’il augmente le tumulte idéal de la scène. Rude vivait par la pensée. Sa science était véritable et elle était complète parce qu’à la connaissance de la forme et des moyens pratiques de l’exprimer il joignait une idée supérieure de la destination de l’art.

À côté de Rude, Barye vient se placer naturellement comme un autre grand exemple. Nous sommes étonnés qu’on ne les rapproche jamais, non pour en faire un parallèle, mais pour montrer par