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combien de points leurs génies se rencontrent. Chez tous deux c’est la même passion pour la vérité, la même connaissance approfondie de l’ordre naturel, la même aptitude à l’exalter. Sans doute, c’est avertir utilement les jeunes artistes et c’est les toucher que de leur montrer Barye, avant de commencer un ouvrage, allant au Muséum mesurer les squelettes des animaux qu’il allait faire revivre. Grâce à cette méthode et à son profond respect du vrai, il a donné un essor original et une expression supérieure à l’art de représenter les animaux. Et qu’on nous entende bien : nous ne parlons pas de ce mode d’expression qui, sous prétexte de relever la bête, lui impose une grimace humaine. Non, nous louons Barye d’avoir, à force de sincérité et de pénétration, dégagé la figure des animaux de tout élément parasite pour mettre en évidence leurs mœurs géniales et leur mimique instinctive. Chose singulière ! curieuse antinomie de l’anthropomorphisme ! l’homme frappé de leur énergie et de l’appropriation fatale de leur organisme à une fin déterminée ne voyait le plus souvent, dans les images qu’il en faisait, qu’un symbole de ses vertus ou de ses vices. Barye, le premier, en s’aidant du bronze, a fait vivre les animaux de leur propre vie : il nous les a montrés tour à tour et à leur manière, goûtant le bienfait de la vie, se jouant ou tragiques. Il a laissé après lui une école qui sera durable.

Le plus brillant de ses successeurs (nous ne disons pas de ses élèves, l’artiste dont nous parlons a étudié chez Rude), le plus brillant de ses successeurs, M. Frémiet, a exposé cette année deux ouvrages dont l’un, la Statue équestre du grand Condé, montre une fois de plus la facilité avec laquelle il s’élève au style historique, et dont l’autre, le Tombeau de miss Jenny, une chienne favorite, est une nouvelle preuve de son esprit. M. Caïn comprend la grandeur et il y arrive à force de simplicité dans sa Lionne changeant de gîte. Rien qu’avec des ouvrages de petites dimensions, M. Bonheur nous montre toute la force de son talent. Il y a dans les Lévriers russes égarés de Mlle Thomas infiniment de vérité, de grâce et d’un sentiment qui n’a rien d’humain, mais dont on est néanmoins touché. Enfin M. du Passage et M. Tourguenef ont des chevaux dont la race est franchement caractérisée et dont les allures sont irréprochables.

Mais Barye a fait plus que de susciter une brillante école. Ses œuvres comme celles des grands maîtres seront toujours supérieures aux traditions qu’il a laissées. On étudiera longtemps ses bronzes avant qu’ils aient donné leur dernier mot.

Rude et Barye étaient toujours en présence du modèle vivant ; mais sa vue les exaltait, et pour le rendre ils atteignaient à la puissance qui est une des conditions du beau. Réunissant dans une synthèse