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Palais-Bourbon, ne va pas décidément échouer au Luxembourg. Il n’est point douteux qu’au sénat comme dans l’autre chambre, le scrutin d’arrondissement compte des partisans nombreux, même parmi les républicains, et il y a une raison de plus pour qu’on y regarde de près au Luxembourg. La réforme nouvelle ne soulève pas, à proprement parler, une question constitutionnelle sans doute, puisque la constitution n’a rien prévu, rien fixé sur ce point. Les pouvoirs publics cependant ont été établis dans certaines conditions d’équilibre, ils sont appelés à se réunir en congrès, à concourir ensemble à des actes de puissance souveraine dans des circonstances déterminées. Si l’un de ces pouvoirs cherche dans dès modifications organiques une force nouvelle, des élémens nouveaux de prépondérance, n’en résulte-t-il pas aussitôt et par cela même un affaiblissement relatif de l’autre pouvoir ? Si l’on réforme le système électoral avec l’intention avouée de créer par des manifestations concentrées du suffrage universel un instrument de règne, si de plus le nombre des députés est sensiblement augmenté, n’est-ce pas une révolution dans les rapports des deux assemblées ? Il s’ensuit que les prérogatives ordinaires des deux pouvoirs restent ce qu’elles étaient et que l’équilibre n’est plus le même, que la constitution, sans être méconnue ou altérée en apparence, peut être atteinte dans son essence, dans son esprit. Pour ceux qui veulent supprimer le sénat ou le réduire à un rôle subordonné et impuissant, c’est tout simple. Pour ceux qui croient à la nécessité d’une assemblée représentant avec autorité la réflexion et la prévoyance, c’est une autre question. Il y a dans les combinaisons récemment adoptées un danger, tout au moins une anomalie dont certains membres du sénat se sont déjà préoccupés, et l’augmentation du nombre des députés, par exemple, pourrait bien rencontrer de vives résistances au Luxembourg. Il y a des chances pour que cette augmentation soit sérieusement contestée. Ira-t-on au-delà ? Poussera-t-on l’opposition jusqu’à mettre en doute d’autres parties de la loi nouvelle, le principe même de cette loi, comme semblerait l’indiquer un premier vote des bureaux ? Ce serait alors une affaire bien autrement grave, et le sénat, eût-il peu de goût pour la réforme qui lui est soumise, pourrait hésiter à prendre l’initiative et la responsabilité d’un vote qui créerait une situation singulièrement difficile, puisqu’on se trouverait entre un système repoussé au Luxembourg et un système désavoué au Palais-Bourbon. Le sénat n’ira pas peut-être jusqu’à cette extrémité ; dans tous les cas, il ne votera la loi que parce qu’il ne pourra guère faire autrement, et ce qu’il y a de plus clair en tout cela, c’est qu’en définitive on va à cette réforme avec peu d’entrain, avec une conviction médiocre, et des idées passablement confuses sur les conséquences possibles de cette révolution nouvelle du régime électoral.

A quoi tiennent ces confusions, ces hésitations ou ces résistances qui se reproduisent dans le sénat comme elles se sont produites dans