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possessions algériennes, elle ne songe ni à menacer la paix du continent ni à se jeter dans des aventures. Les Anglais sont des esprits assez vigoureusement sensés et assez pratiques pour comprendre que la puissance qui a Gibraltar, Malte et Chypre, n’a pas à disputer un poste à Tunis. Les Italiens eux-mêmes, après avoir eu la tête un peu troublée, en tarderont pas sans doute à retrouver le calme et à s’apercevoir que ce qu’ils ont de mieux à faire, c’est de revenir à une politique de bon sens, de bonne entente avec la France. Aider à ce retour, c’est après tout la seule mission que puisse avoir le cabinet qui vient enfin de se former sous la direction de M. Depretis, après une longue crise ministérielle pendant laquelle les esprits auront eu le temps de se calmer.

Dans le tourbillon des événemens ou des incidens qui se succèdent un peu partout, en France comme dans tous les autres pays, les hommes qui ont eu leur moment d’éclat et leur rôle disparaissent. Les derniers représentans des générations anciennes s’en vont après avoir vu le monde se renouveler plusieurs fois dans leur longue existence. On compte désormais ceux qui sont entrés dans la carrière au déclin du premier empire et qui ont vécu au temps de la restauration. Ceux qui ont vu la révolution de 1830 et qui ont rempli la scène publique sous le gouvernement de juillet, ceux-là mêmes commencent à devenir rares ; la mort emporte ces témoins du siècle. C’est à ces générations actives et fortes d’autrefois qu’appartenait M. Duvergier de Hauranne, qui vient de s’éteindre dans sa propriété du Berry. M. Duvergier de Hauranne datait de l’autre siècle, il était plus qu’octogénaire. Depuis quelques années déjà, il vivait retiré de ce monde de la politique, où il avait eu son jour, sa part d’action et de renommée. Môle aux événemens de la fin de la restauration et du régime de juillet comme écrivain et comme député, il avait été le compagnon, l’émule des Thiers, des Rémusat, des Duchâtel, des Vitet. Ami ardent pour ceux dont il épousait la cause, adversaire redoutable pour ceux qu’il combattait, il avait été un des politiques les plus actifs jusqu’au 2 décembre 1851. Le jour où la liberté disparaissait, il occupait sa retraite à raconter ce qu’il savait si bien, à écrire l’Histoire du gouvernement parlementaire en France. Sans reprendre un rôle après les douloureux événemens de 1870, il avait, comme M. de Montalivet, accompagné de ses vœux M. Thiers dans sa tentative pour fonder une république conservatrice, qui lui apparaissait comme le seul régime possible. Il était né libéral et parlementaire, il est mort libéral et parlementaire, et si ces sentimens virils ne suffisent pas toujours pour sauver les gouvernemens, ils laissent du moins l’honneur à ceux qui ont su s’en inspirer.


CH. DE MAZADE.