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le centre d’une propagande pieuse. Yolande elle-même et les plus grandes dames de sa cour venaient s’y exercer à la mortification et à la pratique de toutes les vertus chrétiennes. C’est là qu’après avoir donné ses biens aux pauvres, la bienheureuse Jeanne-Marie de Maillé, franciscaine du tiers ordre, commença à édifier le monde par ses austérités et à l’étonner par ses miracles. Grâce à la protection d’Yolande, grâce à l’exemple donné par Marie de Maillé et par la célèbre Colette, abbesse du couvent de Besançon et réformatrice des clarisses ou religieuses franciscaines, le mysticisme exalté de saint François eut une renaissance et se mit à refleurir dans des milliers d’âmes qui exhalèrent les plus doux parfums.

Il ne faudrait pas croire que le goût personnel de la reine Yolande fût l’unique cause de sa prédilection pour les cordeliers. Le dévoûment aux intérêts de l’ordre de Saint-François était de vieille date une des traditions les plus chères à la dynastie angevine. En souvenir de saint Louis de Marseille, de la maison royale de Sicile, mort en 1297 sous l’habit des frères mineurs et canonisé en 1317 par le pape Jean XXII, en souvenir de ce saint et vénéré personnage, les rejetons des deux maisons d’Anjou-Sicile et d’Aragon, qui se disputèrent avec acharnement, de 1419 à 1443, la succession de la reine Jeanne de Naples, avaient la prétention les uns et les autres d’appartenir en quelque sorte par droit de naissance à la famille franciscaine. De là vient que plusieurs princes et princesses de ces deux maisons, dont les mausolées subsistent encore, ont tenu à honneur de s’y faire représenter sous le costume de l’ordre de Saint-François. Il y eut même des infans et des infantes d’Aragon qui prononcèrent des vœux et embrassèrent la règle franciscaine. Au commencement du XVe siècle, une cousine de la duchesse d’Anjou, nommée aussi Yolande, commencement était abbesse du couvent des clarisses de Valence. La reine de Sicile resta toute sa vie fidèle à ces traditions et les transmit à ses enfans. En 1423, on trouve à la cour de Marie d’Anjou, en qualité de confesseur, un cordelier appelé frère Jean Raphaël, qui fut alors chargé de négociations importantes auprès du pape Martin V. De 1407 à 1435, on constate sans peine dans le recrutement de l’épiscopat le contrecoup de ces préférences princières pour l’un ou l’autre des deux ordres mendians entre lesquels se partageait surtout la faveur publique. Pendant cette période, plusieurs frères prêcheurs attachés à la maison des ducs de Bourgogne obtiennent d’importantes prélatures, tandis que des frères mineurs occupent un certain nombre de sièges épiscopaux, grâce à la protection des chefs du parti armagnac. Ce double courant d’influence paraît s’être fait sentir jusque dans le chou des inquisiteurs de la foi, quoique cet