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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/761

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respectueuse. Il m’est arrivé de laisser tomber sur un soldat le suif d’un gros cierge dont on m’avait chargé le jour de Pâques sans qu’il fît le moindre mouvement pour s’en plaindre. Il pensait sans doute que ma maladresse était un acte de piété, et il le respectait.

Les chrétiens sont bien loin de pratiquer une tolérance aussi large, Sans parler de leurs querelles intestines et des ruisseaux de sang qu’elles ont fait couler, ils sont unanimes pour proscrire les juifs de leur sanctuaire commun. Si l’un de ces derniers pénétrait dans le Saint-Sépulcre, il risquerait d’y être massacré ; on ne lui permettrait même pas de souiller de sa présence le parvis de l’église. L’ardeur des passions religieuses est aujourd’hui plus vive chez les chrétiens que chez les musulmans. Mais, si convenables que soient ces derniers, on aimerait qu’ils prissent l’habitude de laisser la porte du Saint-Sépulcre ouverte. Lorsqu’on arrive au commencement d’un office et qu’on entre dans l’église sur la foi des traités, c’est fini ! il faut y rester (quatre ou cinq heures jusqu’à ce que l’office soit terminé ; épreuve difficile, même pour les dévotions les plus robustes. Le soir, c’est pire encore ! Dès qu’on a franchi le seuil de la basilique, on est condamné à y demeurer jusqu’au lendemain matin. Il est vrai que les distractions ne manquent pas. Le Saint-Sépulcre est un monde dans lequel on se promène longtemps sans s’ennuyer et où l’on fait presque à l’infini des voyages de découvertes. Outre les chapelles, qui sont innombrables, les cryptes, les souterrains, on visite les galeries, les couvens des moines, les asiles des diverses communautés, les plates-formes, la coupole, etc. Jadis même on aurait pu visiter un harem qui était placé sur le toit de l’église et qui n’a disparu que depuis peu. Le harem avait donné lieu à des aventures assez amusantes. Préoccupait-il outre mesure L’imagination des bons moines cloîtrés dans les dépendances du Saint-Sépulcre ? Je l’ignore, mais ce que il y a de sûr, c’est qu’il a inspiré des légendes dont le souvenir est encore très vif. On raconte, par exemple, l’histoire d’une négresse esclave qui avait échappé à ses maîtresses et qui était allée se glisser sous la couchette d’un père franciscain. A la vue de cette figure noirâtre, le religieux crut à une tentation de saint Antoine d’un nouveau genre. Les péripéties de sa lutte contre Satan ne manquèrent pas d’originalité, On affirme qu’il en sortit vainqueur ; toutefois la charité chrétienne l’obligea à garder toute la nuit la négresse dans sa cellule, car la renvoyer de l’asile où elle s’était réfugiée eût été la livrer à ses maîtresses, qui l’auraient cruellement punie d’avoir préféré la chambre franciscaine au harem musulman. Grâce à Dieu, les franciscains d’aujourd’hui ne sont plus exposés à de pareilles épreuves. Leur seul malheur est d’être enfermés dans des salles basses, étroites, sales, où ils étouffent. Il leur est permis cependant de se